Nous avons constaté ces derniers mois un rétrécissement du champ des libertés au Maroc. Le gouvernement marocain s'acharne particulièrement sur l'AMDH et les journalistes. Même les journalistes occidentaux ne sont pas épargnés comme en témoigne l'expulsion du Maroc, lundi, de deux confrères de l'agence française Premières lignes.Quelles sont, selon vous, les raisons de cet acharnement ? S'en prendre à l'Association marocaine des droits humains (AMDH) est un aveu de faiblesse pour le régime marocain.C'est reconnaître que ses rapports et ses avis sur les droits de l'homme font mal. Car l'AMDH est, ne l'oublions pas, la plus importante organisation de défense des droits de l'homme dans le monde arabe. Elle possède des dizaines de bureaux dans chaque ville ou grand bourg du royaume et ses activistes sont des sentinelles qui scrutent l'état des droits de l'homme au Maroc et dénoncent sur le champ les abus des forces de l'ordre, de l'administration, de la justice et des services secrets, omniprésents partout. Pour une autocratie comme le Maroc, qui vit grâce à la peur qu'elle distille parmi la population et aux protections et complicités occidentales dont elle bénéficie, voir sa prétendue bonne image à l'étranger écornée par les dénonciations de l'AMDH est insupportable. Si l'AMDH inventait les atteintes qu'elle dénonce, ce serait, disons, dans l'ordre des choses que le régime s'en prenne à elle, mais voilà, le récent rapport du Congrès américain prouvant par «A+B» que la DST, la police politique marocaine, torturait dans sa prison secrète de Témara et les poursuites engagées en France pour torture et séquestration à l'encontre du directeur de la DST, Abdellatif Hammouchi, et du directeur du cabinet particulier du roi, Mohamed Mounir El Majidi, démontrent que l'AMDH est dans le vrai. Pourquoi la monarchie craint-elle la presse et les journalistes ? Le Maroc est pourtant habitué à soigner son image à l'international. Si vous parlez de la presse marocaine en général, la monarchie marocaine ne la craint nullement. Si c'est pour ce qui reste de la presse indépendante, surtout sur le Net, c'est parce que c'est la seule qui peut encore la déshabiller, et écorner comme je l'ai dit cette fausse image de monarchie modérée gouvernée par un roi modéré, alors que les droits fondamentaux des Marocains sont violés chaque jour. Sans cette presse-là, on n'aurait pas su que le wali de Rabat, sur instructions du ministre de l'Intérieur, Mohamed Hassad, refuse obstinément de délivrer, comme l'exige la loi, un récépissé de constitution d'association à Freedom Now, une ONG marocaine de défense de la liberté d'expression, que les activités de l'AMDH sont systématiquement, et illégalement il faut le dire, interdites par les autorités marocaines et que nous sommes dans les faits retournés aux années de plomb, il est vrai, avec d'autres méthodes. Sans la presse, internationale cette fois-ci, on n'aurait pas su que le roi du Maroc, son directeur de cabinet particulier, le sieur Majidi, des membres de la famille royale et des dignitaires ont ouvert des comptes secrets en Suisse. Des comptes illégaux selon la législation marocaine. Ce durcissement peut-il s'expliquer aussi par les révélations embarrassantes pour la monarchie marocaine faites, sur les réseaux sociaux cet automne, par le hacker prénommé Chris Coleman ? Pourquoi ? Pour l'AMDH et la presse indépendante, la répression a toujours existé et va continuer à l'être. La raison d'un régime dictatorial, en djellaba et babouches, dans ce cas précis, c'est de sévir. S'il ne le fait pas, il s'effondre. En ce qui concerne Chris Coleman, cela nous a permis d'avoir enfin les preuves, dont nous avons authentifié la plus grande partie, de ce que nous claironnions depuis longtemps. A savoir qu'une grande partie de la presse marocaine et notre ministère des Affaires étrangères sont complètement sous la coupe de la Direction générale des études et de la documentation (DGED), dirigée par un ami du roi, Mohamed Yassine Mansouri ; et que toute la diplomatie marocaine tourne autour du conflit du Sahara occidental, comme si nous n'avions pas d'autres problèmes, d'autres soucis. Je comprends qu'une résolution onusienne défavorable au Maroc sur le conflit du Sahara soit fatale pour la monarchie qui a géré seule, et bien seule, ce dossier, mais en quoi cela profite au citoyen marocain lambda ? Si c'est légitime et patriotique de crier «Sahara marocain, Sahara pour toujours !», c'est tout aussi légitime et patriotique pour les Marocains de dire qu'ils ont d'autres priorités qui n'ont rien à voir avec des dunes et des sables, comme le manque de libertés fondamentales, le chômage, l'éducation, la santé, etc. Partagez-vous l'idée, soutenue par certains observateurs, selon laquelle la réconciliation maroco-française risque de se faire sur le dos des droits de l'homme et de la liberté de la presse au Maroc ? Non seulement sur le dos de la liberté de la presse au Maroc, mais également sur la liberté de la presse en France. Regardez ce qui s'est passé avec ces deux journalistes français, Jean-Louis Perez et Pierre Chautard, que trente policiers sont allés chercher à l'intérieur du siège de la l'AMDH à Rabat, qui ont été arrêtés, bousculés et expulsés manu militari. Quand l'un deux a appelé l'ambassade de France à Rabat, un diplomate lui a répondu : «Débrouillez-vous, on ne peut rien faire.» Quant à Romain Nadal, le porte-parole du Quai d'Orsay, il n'a pas voulu réagir à cette atteinte contre la liberté de circulation et l'intégrité physique de deux citoyens français. Et c'est cette même France qui a fait sortir récemment des millions de personnes dans la rue pour crier son attachement à la liberté de la presse et jurer qu'elle va la défendre partout, même à Copenhague De qui se moque-t-on ? Alors quid de la suite maintenant ? Nous autres journalistes indépendants marocains, en fait deux pelés et trois tondus, nous savons que nous n'avons rien à attendre de la France ou des autres prétendues démocraties occidentales, nous sommes persécutés et nous allons continuer à l'être. Jamais aucun gouvernement, à part dans mon cas l'ex-président du gouvernement espagnol José Maria Aznar, ne nous est venu en aide. Même moralement. Mais que Paris fasse au moins semblant de défendre ses propres journalistes quand ils sont persécutés par une autocratie moyenâgeuse et liberticide.