Les faits rapportés par le journaliste d'El Watan Week-end du 26 février 2016 sous le titre : Algérie-Tunisie, «J'ai passé la frontière avec un trafiquant d'armes» constituent un témoignage accablant sur la gravité du danger qui pourrait menacer sérieusement le pays si les pouvoirs publics tardaient à prendre les mesures nécessaires pour arrêter le trafic de l'essence qui alimente la contrebande transfrontalière, génère la corruption et dénature les missions de protection des intérêts du pays dont sont investies nos institutions de défense et de sécurité. La seule déclaration enregistrée, répondant à l'inquiétude suscitée par ce reportage, est celle du président de l'organisation patronale. Ali Haddad suggère, en effet, une révision de la politique des prix et des salaires pour mettre un terme à la situation de déliquescence de notre économie et de nos institutions. C'est la seule voix autorisée qui recommande aux autorités compétentes de réviser la politique des prix et des salaires soutenue par l'Etat, et d'inclure cette option, entre autres, dans la lutte engagée contre la contrebande transfrontalière et ses retombées négatives sur le développement général du pays, de s'appuyer, surtout, sur ce levier pour déterminer les grands axes de la stratégie de redressement national qui se concocte dans les sphères gouvernementales. La vérité des prix et des salaires qu'il préconise, bien qu'elle s'insère dans une vision globale liée à la conjoncture de crise que le pays traverse et qu'elle se veuille un moyen d'y faire face, ne constitue pas moins une réponse à l'article sus-mentionné. Jusqu'à ce jour, toutes les décisions prises par les pouvoirs publics, qu'elles soient d'ordre institutionnel, législatif, juridique ou administratif pour lutter contre ce trafic n'ont pas réussi à freiner sa progression. Ce phénomène tend à gangrener, par son ampleur, les institutions de l'Etat et à porter atteinte à la moralité de nos hommes politiques et de nos cadres gestionnaires. Il est donc temps de procéder à l'éradication de ce mal avant qu'il ne se transforme en une tumeur cancérigène qu'il n'est pas toujours aisé d'extirper du corps de la nation. Il faut, tout d'abord, s'interroger sur les raisons de l'échec de la stratégie de lutte employée, présentement, par les pouvoirs publics. Le constat établi par certains observateurs, spécialisés dans l'étude des maux liés à la contrebande transfrontalière, se contente d'une énumération des effets du mal et non sur sa cause originelle. Pourtant, le bon sens nous enseigne qu'il est illusoire de traiter une pandémie sans connaître la nature du virus qui en est le facteur agissant. Dans ce cas précis, le mal se niche dans la spéculation liée à la différence substantielle des prix des carburants pratiqués en Algérie par rapport à ceux en usage dans les pays limitrophes. A l'évidence, le recours à la vérité des prix s'avère, donc, le moyen idoine à faire valoir pour lutter efficacement contre le trafic de l'essence, lequel, tout le monde le sait, finance, dans une large mesure, les autres produits de contrebande, comme la drogue, les armes, le tabac, etc., comme le prouve le reportage sus-cité. La révision de notre politique des prix et des salaires, proposée par le président du patronat, rejoint donc celle que nous avions avancée dans l'article que nous avions publié dans le quotidien Le Soir d'Algérie du mois de septembre 2014, à la suite des mesures prises par le gouvernement contre le trafic de l'essence à nos frontières. Voici, résumé, ce que nous disions dans l'article intitulé : «La vérité des prix et des salaires : une planche de salut ?» «Tout le monde sait que la source du mal réside dans le bas prix de notre essence, par rapport à celui affiché dans les stations-services des pays limitrophes. Après un examen minutieux des tenants et aboutissants de ce dossier, la logique exige de nos autorités une réflexion approfondie sur le comment faire pour ajuster le prix de notre essence sur celui de nos voisins, sans pour autant porter préjudice au pouvoir d'achat de nos concitoyens les plus démunis, sans un surenchérissement des coûts de production pour nos entrepreneurs. Certes, l'on craint dans certains milieux politique, patronal et syndical les retombées de cet ajustement des prix des carburants sur l'essor de nos entreprises et celui du pouvoir d'achat du citoyen. N'en déplaise à tous les avis contraires à cette mesure, l'ajustement des prix de l'essence, comme d'ailleurs celui de tous les produits importés, est le premier levier de commande d'une véritable et déterminante politique de remise en ordre de notre économie et d'assainissement de notre commerce extérieur et intérieur. Pour démentir les arguments avancés, bien évidemment, par les porte-parole de la mafia de «l'import-import», l'Etat dispose des justificatifs politiques, économiques, financiers, sociaux, écologiques et moraux pour formuler et défendre l'argumentaire plaidant pour l'acuité, la fiabilité et, donc, la faisabilité d'une telle mesure des plus salutaires pour le pays. Recensons, tout d'abord, les avantages escomptés par cette décision. L'ajustement des prix de l'essence sur ceux de nos voisins va arrêter, sans aucun doute, immédiatement et sans coup férir, cette hémorragie. Elle mettra, de ce fait, un terme à ce trafic, elle éliminera, en même temps, la corruption provoquée par la contrebande et réduira, sensiblement, la pénétration, sur le sol national, des produits prohibitifs, éminemment nocifs pour la santé de notre jeunesse et dangereux pour notre sécurité, comme le cannabis, le tabac, les armes, etc. Car, c'est avec l'argent de ce trafic de carburant et autres articles chèrement importés par le pays que les trabendistes financent tous ces produits interdits à l'importation. La répercussion de cet ajustement des prix de l'essence sur ceux de nos voisins se traduira, aussi et immédiatement, par une réduction significative de nos importations de carburant et une diminution de l'enveloppe en devises qui lui est consacrée. Le pays va économiser, en outre, non seulement les quantités d'essence écoulées sur le marché de nos riverains, mais, aussi, une partie de celle consommée abusivement par nos concitoyens, car la cherté du carburant réduira l'utilisation inopportune des voitures que l'on voit circuler sans raisons valables à longueur de journées. Le volume d'importation des véhicules neufs baissera et celui de leur facture aussi. Cette tendance à l'économie du carburant et à la réduction de l'achat de véhicules neufs agira positivement, enfin, sur l'environnement, par une diminution de la pollution et sur la densité de la circulation et la sécurité routière, par un recul du nombre d'accidents. A tous ces avantages, qu'on ne met jamais sur un plateau de la balance des paiements, on nous oppose, sur l'autre, le poids de l'effet négatif, de cette augmentation des prix de l'essence, sur le pouvoir d'achat des citoyens les plus démunis et sur le coût de production pour nos entreprises industrielles, agricoles, de transport, commerciales et autres. Cet argument qui nous est balancé à la figure chaque fois que l'on évoque la nécessité de cette parité des prix ne tient pas la route. A ce sujet, il faut prendre l'exemple sur les pays voisins. Si les Tunisiens et les Marocains, dont le niveau de vie et le pouvoir d'achat sont inférieurs à ceux des Algériens, s'accommodent de la cherté de leur carburant, pourquoi l'Algérien ne l'admettrait-il pas ? Il faut préciser, en outre, que l'augmentation du prix du carburant ne touchera que les salariés à moyen et faible revenu, car ceux dont les émoluments mensuels dépassent les cent mille dinars et les nantis peuvent supporter aisément de telles charges. Cet argument, défendu surtout par les mandants de ce trafic, ne doit pas constituer une entrave à l'application de ce réajustement, inéluctable des prix de nos carburants. Quant à nos entreprises, l'Etat est en mesure de réduire les effets négatifs de cette augmentation du prix de nos carburants, sur la compétitivité de nos entreprises, grâce à la ristourne financière récupérée sur l'enveloppe attribuée à l'importation de l'essence et sur les dividendes escomptés par l'augmentation des prix des carburants et autres produits subventionnés. Une ponction sur ces nouvelles ressources financières pourrait être réaffectée, sous forme d'aides d'encouragement à la production ou d'allègements fiscaux à nos entreprises, particulièrement celles productives, créatrices de richesses et d'emplois. Ce qui nous paraît logique et réalisable pour les carburants peut l'être aussi pour tous les produits soutenus par l'Etat. La vérité des prix peut aider aussi à la normalisation du marché intérieur, à l'assainissement des circuits de distribution des produits de consommation et à la rationalisation du modèle de consommation du citoyen. Il est possible, grâce à ces décisions, d'atteindre un taux d'économie financière sur les marchés extérieur et intérieur égal ou supérieur aux pertes subies par la chute du prix du baril. La vérité des prix ainsi envisagée rendra plus aisée l'application de la vérité des salaires lorsque celle-ci est intégrée dans une politique de l'offre et de la demande en rapport avec le modèle de consommation de la société dans une période de crise.