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Qalb Elouz : Sur la route de la gourmandise
Publié dans El Watan le 24 - 06 - 2016

Alger : Une histoire de patrimoine
«Depuis quelques années qalb elouz accompagne nos fêtes : mariages, circoncisions, fiançailles… Tout est bon pour en manger. Il est pratique à proposer pour les gens afin d'accompagner le thé lors des longues soirées de fête», explique Réda Selmani, fabriquant de confiseries et petit fils d'un «maâlem» (maître) du qalb elouz à Alger-centre. «Mon père nous expliquait tout le temps que la recette du qalb elouz de mon grand-père était notre plus bel héritage.
Cette recette a marqué une certaine époque où l'on partait le matin chercher du poisson du côté de Baïnem et Saint-Eugène, et le soir on passait par La Casbah pour déguster un bon qalb elouz. Ça sentait bon les amandes et le miel et non pas ce sirop ultracalorique qu'on nous vend. La recette de mon grand-père s'est retrouvée en France chez un cousin qui a repris le métier, c'était le seul», se souvient-il en mettant en garde contre certains commerçants qui profitent du mois sacré du Ramadhan pour «saturer l'estomac de sucre, de semoule et d'arôme d'amande.
Les consommateurs doivent faire attention à ce qu'ils mangent. Ils sont en droit d'exiger un qalb elouz de qualité», prévient-il. Si le qalb elouz est une gourmandise algéroise, sa saveur, son fondant et son arôme ont su conquérir toutes nos wilayas où il se décline sous différentes appellations : chamia, hrissa, besboussa… mais attention, les spécialistes n'aiment pas relier le qalb elouz à la besboussa, même pas par cousinage !
«C'est un gâteau noble qui doit être préparé avec beaucoup de doigté ; la besboussa est moins contraignante. Les recettes que l'on trouve dans certains livres de cuisine ou sur internet se basent toutes sur une saturation en sirop. Le secret d'un bon qalb elouz, c'est de bien choisir sa semoule et éviter d'être généreux avec le sucre et les arômes artificiels. Je conseille toujours à mes adhérentes de privilégier les amandes, même en petite quantité», affirme Faouzia Naâmane, animatrice d'ateliers culinaires à Alger.
Sa recette de qalb elouz lui a été transmise dans les années 1950 par sa mère. Pour Nezli, organisatrice de voyages, la première saveur qu'elle propose à sa clientèle est le qalb elouz. «Quand des touristes me demandent où trouver des dattes Deglet Nour, je leur suggère toujours de prendre du qalb elouz.
Finalement, c'est un gâteau facile à faire et qui s'adapte très bien aux autres fruits secs, il suffit d'avoir un peu d'imagination», pense-t-elle. Pour la pérennité du qalb elouz, Nezli espère qu'il soit «répertorié et reconnu mondialement» «Il serait intéressant de voir un véritable travail de recherche sur le qalb elouz et la collecte de toutes les histoires de famille de pâtissiers. Je suis certaine qu'on tiendrait là une belle partie de notre patrimoine culinaire», avoue-t-elle.
– El Tarf : Un nouveau-venu qui détrône ses rivaux
A El Tarf et sa région, qalb elouz, appelé aussi hrissa, est, comme partout ailleurs dans le pays, une pâtisserie très appréciée, même si elle est de tradition récente. Si aujourd'hui on la trouve un peu partout dans les pâtisseries mais encore chez des revendeurs d'un soir, elle était encore inconnue jusqu'à la fin des années 1990 où il fallait, pour s'en procurer, faire du coude chez un pâtissier de la place du CNRA à Annaba qui s'y est installé à la fin des années 1980 d'El Madania (Clos Salembier, Alger). Qalb elouz se vend bien entre 20 et 60 DA la pièce, selon la grosseur et la composition.
En plateaux aussi de 100 DA à 450 DA. Si autrefois on n'était pas regardant sur la qualité, l'essentiel étant d'en trouver pour agrémenter les soirées, les consommateurs sont de plus en plus exigeants et y mettent le prix. Semoule fine ou semoule grosse, sucre blanc ou sucre roux et même sans sucre si vous la commandez, cherbet, eau de fleur d'oranger ou miel, cuisson douce ou forte.Pour les connaisseurs, les différences apparaissent fatalement à l'œil avec la consistance et la découpe et au goût avec la saveur.
Qalb elouz est de plus en plus répandu et tous les pâtissiers en proposent aujourd'hui, ce qui donne un plus large éventail de choix que l'on adapte à ses préférences. Chacun vous dira que le meilleur de cette saison est là où il l'achète. Il s'est progressivement introduit dans les habitudes et il est de plus en plus préféré à la zlabia et ses dérivées jugés trop sucrés et qu'il a détrônés.
Constantine : Un succès de saison
Au chapitre des gourmandises, le qalb elouz a réussi à se faire une place au top 5 de la consommation spécial Ramadhan, à Constantine. Et pourtant, la concurrence est rude dans cette ville où le talent et l'innovation dans la fabrication de gâteaux et de douceurs sont connus et reconnus. Dans la cité du Vieux Rocher, les délicates sucreries ont une place de choix sur la table du mois sacré. Pour briser le jeûne, à l'appel de la prière du Maghreb, les dattes Deglet Nour et la zlabia sont indétrônables.
Mais plus tard dans la soirée, quand la famille et les amis se retrouvent autour du s'ni (plateau) de café ou de thé, la tradition impose aussi le maqroud, la halwa turque et la harissa sucrée, laquelle, comme la zlabia, a des origines tunisiennes. Depuis quelques années, le qalb elouz est apparu sur les étals et très vite il s'est fait une place de choix en détrônant la harissa. Celle-ci étant sa sœur jumelle au pedigree moins racé. Les deux friandises sont en effet faites à base des mêmes ingrédients avec un petit plus pour le qalb elouz ; petit mais décisif, puisqu'il s'agit des amandes broyées et mélangées avec la semoule.
Cette différence, qui peut échapper à l'œil du profane, partage la harissa (produit populaire) et le qalb elouz (produit de luxe). A Constantine, au début de son apparition, le qalb elouz était «importé» d'Alger par un ou deux commerçants pendant le Ramadhan. Aujourd'hui qu'il est devenu en vogue, des commerçants font venir des artisans d'Alger pendant le mois sacré pour fabriquer et vendre en quantité cette friandise. Il y a presque dans tous les quartiers de la ville des enseignes avec l'inscription «Qalb Elouz algérois». Un vrai succès de saison !
Oran : La chamia est incontournable
A Oran, les soirées du mois sacré sont des moments très importants et appréciés des familles qui se réunissent autour d'une table garnie de gâteaux en tout genre et de boissons chaudes et glacées. Mais le délice le plus répandu sur les tables est évidemment la chamia. Connu sous le nom de chamia dans l'Ouest algérien, harissa dans l'Est et qalb elouz au Centre, ce gâteau traditionnel est la vedette des soirées familiales.
«Elle est incontournable et se décline dans toutes ses variantes», dira Fatima, 50 ans, rencontrée chez un vendeur de gâteaux orientaux au quartier Maraval. «La chamia est faite principalement à base de semoule, d'eau de fleurs d'oranger et de cherbet (sirop). Les familles aisées se permettent la chamia avec des amandes, des pistaches ou des noix», ajoute cette dame. «C'est très riche, diététique et surtout très sucré. Dans l'Ouest algérien, l'appellation chamia est liée probablement à son origine moyenne-orientale.
C'est un vrai régal après le repas du Ramadan. Ce gâteau est souvent servi en accompagnement d'un bon thé à la menthe. Moi je préfère la recette traditionnelle. Je n'aime pas celle qui contient des amandes», dira Farid, lui aussi venu acheter ce gâteau. Certaines femmes préparent chez elles la chamia. Mais bien que les ingrédients soient simples, la préparation nécessite un sacré savoir-faire, et au risque de se retrouver avec un résultat catastrophique, il est essentiel de suivre la recette à la lettre et de respecter avec précision le temps de cuisson.
Tlemcen : Ma harissa, d'abord…
Si à Oran on l'appelle chamia et qalb elouz à Alger, dans la wilaya de Tlemcen, elle est désignée sous le nom de harissa. Un vocable «importé» inexplicablement de Tunisie, en ce sens qu'il n'existe aucune similitude entre la gastronomie et la pâtisserie tlemcenienne et tunisienne.
La géographie ne plaide pas non plus pour ce rapprochement pour les sucreries. Sauf que, là ou ce terme paraît logique, harissa renvoie au verbe écraser ou piler, en arabe. En rapport avec les amandes qui sont écrasées pour faire la farce. Toujours est-il et quelle que soit la dénomination, la harissa est omniprésente sur la placette de Tlemcen avec ou sans le Ramadhan. Les autochtones, tel un rituel quotidien ou un réflexe pavlovien, se rendent au milieu de l'après-midi aux deux kiosques qui se font face sur la placette… pour déguster sur place cette pâtisserie au goût inimitable, à raison de 20 DA le morceau.
Pendant le mois sacré, la vente de ce dessert très prisé par les habitants des 53 communes que compte la wilaya se généralise. Un délice du palais. «Nous n'attendons pas le mois du jeûne pour préparer la harissa, elle fait partie de nos traditions», confesse Ghoutia, femme au foyer. «Et malgré les mêmes ingrédients qu'on trouve dans la chamia ou le kalb elouz des autres régions du pays, le secret dans la préparation de notre harissa reste inviolable chez nous. C'est une question d'art de la cuisine», explique notre interlocutrice.
Ouargla : Un Qalb Elouz de Hassi Messaoud
A Ouargla, il faut parcourir 80 km pour trouver un qalb ellouz authentique, fondant et sentant bon la fleur d'oranger. C'est en fait dans une petite cité derrière l'hôpital de la ville du pétrole qu'une succursale de Serir l'Algérois a ouvert ses portes il y a quelques années déjà, avec un savoir-faire reconnu et apprécié à des dizaines de kilomètres à la ronde.
Les coffrets de friandises parcourent de longues distances au grand plaisir des amateurs de cette pâtisserie traditionnelle que la maison Serir a su préserver et entretenir. «Le produit vaut vraiment le déplacement», nous dit Larbi, qui a déjà consommé et offert une dizaine de sniwate depuis le début du mois sacré. Le secret est, selon lui, «une combinaison juste, une recette inratable et inchangeable qui rappelle l'enfance, le goût d'antan, une hygiène irréprochable». Appréciées à leur juste valeur par les consommateurs, ces qualités ne sont pas toujours au rendez-vous ailleurs.
De nouvelles pâtisseries traditionnelles ont pourtant ouvert et se multiplient à l'approche du Ramadhan avec des apprentis faiseurs de qalb elouz et de zlabia s'installant un peu partout. Ils font bonne recette, vu que le consommateur achète ce qu'il trouve avec des exigences au rabais, à voir les files d'attente devant les étals en plein air parsemés à travers nos villes. Mais Ouargla, qui n'a pas de tradition pâtissière propre, abrite depuis plus d'un siècle une communié tunisienne spécialisée dans ce type de pâtisserie.
Il existe une dizaine d'artisans spécialisés dans la bonne zlabia tunisienne qui ont adopté le qalb elouz algérien. Le résultat est juste correct et propre, mais il lui manque le bon parfum de la fleur d'oranger et le fondant typique à ce gâteau. La petite touche algérienne, le savoir-faire de vrais artisans pâtissiers à l'ancienne qui tend à disparaître chez nous si bien que trouver le qalb elouz devient une affaire de kilomètres vers les puits de pétrole.


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