«On m'a notifié mercredi le retrait de mon agrément. Mais je dois vous dire que je ne me sens pas concerné par cette décision. Raison ? Aux yeux de la loi, le retrait d'agrément ne se fait que dans quatre cas : la mort du promoteur ou sa démence, qu'il soit en faillite, ou auteur d'une fraude fiscale. Je ne fais partie à aucun des cas cités, donc je ne me sens pas concerné par ce retrait.» M'hamed Sahraoui est en colère. Le ministère de l'Habitat a décidé de retirer son agrément de promoteur immobilier à l'architecte après l'écroulement d'un bâtiment en construction à la cité Urba 2000, à El Achour, sur les hauteurs d'Alger, vendredi dernier. Si le département de Abdelmadjid Tebboune a annoncé l'ouverture d'une enquête pour déterminer les causes du renversement de ce bâtiment, Sahraoui se défend : «Le voisin a creusé sous les fondations de mon immeuble, ce qui a entraîné sa chute. Mon immeuble a été construit correctement. La preuve en est : dans sa chute, il est resté intact. D'ailleurs, je compte bien le poursuivre en justice pour les pertes qu'il m'a causé.» Au moment où la révision des constructions Sahraoui est évoquée, l'architecte crie au scandale et ne veut absolument pas admettre l'accusation. «Il s'agit d'un coup monté contre moi. De plus, parler de la révision de mes constructions est juste grotesque et ridicule. Peuvent-ils réellement réévaluer plus de 900 projets ? Cela est impossible. C'est un mythe», soutient-il. «Si cette affaire doit nous renseigner sur quelque chose, c'est bien sur la qualité des contrats passés et l'inconscience des gens. Le constat est amer à travers tout le territoire national et les promotions immobilière ne sont qu'un segment de cette pagaille», explique Jamel Chorfi, expert international. Aujourd'hui les faits sont là. Un bâtiment s'écroule. En 2003, des centaines d'habitations et de bâtiments cèdent au tremblement de terre. Mais finalement, d'où provient cette pagaille dans les promotions immobilières ? Non-respect du permis de construire «Généralement, quand on dépose un dossier pour le permis de construire, on prend en considération les constructions avoisinantes. Dans le cas de l'effondrement de l'immeuble de Sahraoui, il faut voir si cela a été fait», explique un architecte. Ce dernier poursuit : «De plus, nombreux sont aujourd'hui les promoteurs qui ne respectent pas le permis de construire et c'est ce qui explique cette pagaille. Cela est bien évidement dû à la complaisance de certaines administrations. Ce sont les personnes qui signent les permis de construire qui sont à blâmer et non l'Etat. C'est à eux de contrôler et de faire leur travail.» Un avis partagé par Abdelhamid Boudaoud, architecte, qui affirme : «C'est un laisser-aller total. Tout le monde construit à sa guise et ne respecte plus le permis de construire. Malheureusement, c'est la faute des APC. Car selon l'article 73 de la loi 90-29 du 1er septembre 1990 portant sur l'aménagement du territoire et l'urbanisme, le président de l'Assemblée populaire communale ainsi que les agents dûment habilités doivent visiter les constructions en cours, procéder aux vérifications qu'ils jugent utiles et se faire communiquer, à tout moment, les documents techniques se rapportant à la construction. Cependant, chez nous, aucun ne fait cet effort.» C'est pour ces raisons que le spécialiste plaide pour que «le directeur technique de l'urbanisme ne soit plus nommé par le président de l'APC mais par le ministère de l'Habitat». «Chkara» Depuis quelques années, l'agrément délivré aux promoteurs ne relève plus de la direction de l'urbanisme. Suite aux cas de «corruption» relevés, il a été décidé, selon un architecte, de donner cette prérogative aux collectivités locales. Autrement dit, explique notre source, «c'était, de l'avis des décideurs, plus rassurant de charger l'APC via une commission mixte de délivrer les agréments pour éviter la chkara». Objectif pas trop atteint, «puisque des cas de versement de pots-de-vin pour l'obtention des agréments sont enregistrés». La direction de l'urbanisme est devenue un des éléments de la commission mixte, mais le dernier mot revient au président de l'APC. «Ce qui ouvre la voie à la corruption», témoigne un architecte-promoteur. «Autrement dit, le cahier des charges peut ne pas être appliqué lorsque l'Etat ferme l'œil.» D'où la question posée par certains intervenants : «Pourquoi les services concernés n'ont pas eu recours à la force publique pour stopper les travaux après le refus du promoteur d'obtempérer aux mises en demeure envoyées suite à l'affirmation que la construction effondrée était sans permis de construire ?» Construire un maximum sur un minimum Suite à la flambée du prix du foncier, de nombreux promoteurs tentent de faire le plus de bénéfice possible sur un minimum de terrain. Un architecte anonyme explique : «La tendance actuelle fait que la priorité est au bâti alors que c'est l'espace vert qui devrait primer. Aujourd'hui, on essaye d'obtenir un maximum de surface bâtie car c'est ce qui est vendable et donc retable. Normalement, sur une surface définie, on ne bâtit que 35 à 40%, le reste devrait être consacré aux espaces verts. Et ce n'est malheureusement pas le cas. Aujourd'hui, on construit sur pratiquement la totalité du terrain. A la base de cette anarchie, le prix du foncier. Les gens ne pensent plus qu'à construire un maximum pour faire plus de gain au détriment de la qualité». Un avis partagé par Abdelhamid Boudaoud qui explique : «L'article 90-29 de la Loi fondamentale portant aménagement de l'urbanisme démontre bien qu'il y a des règles qui régissent les constructions. En effet, cette loi fixe les règles générales visant à organiser la production du sol urbanisable, la formation et la transformation du bâti dans le cadre d'une gestion économe des sols, de l'équilibre entre la fonction d'habitat, d'agriculture et d'industrie ainsi que de préservation de l'environnement, des milieux naturels, des paysages et du patrimoine culturel et historique.» M. Boudaoud poursuit : «Chaque région devrait avoir un POS (plan d'occupation des sols). Ce dernier est constitué du CES qui est le coefficient d'emprise au sol et du COS qui est le coefficient d'occupation au sol. Malheureusement, ces derniers ne sont pas respectés». Un avis partagé par Jamel Chorfi, architecte et expert international, qui affirme : «A cause du non-respect des règles d'urbanisme, aujourd'hui, on ne fait même plus la différence entre logement social et promotionnel.» Faire des économies là où il ne faut pas Autre facteur de cette pagaille : les économies. Pour Larbi Marhoum, architecte urbaniste, «aujourd'hui, les promoteurs ne voulant pas trop dépenser écartent les architectes de certaines étapes, pourtant primordiales. En effet, pleins de petits segments sont enlevés à l'architecte, notamment l'étude, le contrôle ou encore le suivi des opérations. En plus des études qui ne sont pas très profondes et le conseil technique bien souvent occulté ou non pris en charge, ce qui n'est pas normal». Pour Abdelmajid Boudaoud, «l'architecte qui devrait être le pilote de toutes les opérations est bien souvent écarté par souci d'économie. On le paye que pour l'étude par exemple mais jamais pour le suivi alors que c'est tout aussi important». A cet effet, Jamel Chorfi explique : «La plupart des promoteurs veulent faire des économies au détriment d'opérations très importantes. Malheureusement, ces promoteurs font appel aux moins-disant pour la réalisation de leurs projets au détriment de la qualité. Souvent, le suivi des opérations est occulté, or c'est un des segments les plus important. Il faut savoir que même si nous avons la meilleure des études, elle ne vaudra rien si elle n'est pas accompagnée de suivi rigoureux. Mais cela, les promoteurs ne le savent pas. Ils ne pensent qu'au gain.» Ce dernier ajoute : «Il y a un processus à respecter dans un chantier, malheureusement, ce n'est pas le cas chez nous. C'est au CTC qu'incombe la responsabilité de déclarer l'irrégularité des travaux de réalisation qui ne sont pas conformes.» Non-respect du tryptique : Bureau d'étude, maître d'ouvrage et entreprise «Quand on respecte le tryptique ou l'architecte est le pilote de toutes les opérations, on contrôle le paysage urbain. Cependant, cela n'est pas respecté en Algérie, ce qui explique cette pagaille», confie Jamel Chorfi. «Aujourd'hui, on ne rivalise même pas avec les constructions européennes car même celles d'Afrique sont meilleures que les nôtres. Je pense aux constructions du Tchad ou encore du Mali. Contrairement à nous, eux, quand ils pondent des textes, ils les respectent», conclut-il. De son côté, Larbi Marhoum soutient : «Souvent, les promoteurs possèdent leurs propres entreprise et bureau d'étude qui sont chargés des travaux, or cela est contraire à la loi. Dans ce cas de figure, on ne peut pas situer les responsabilités.» Visiblement, il est facile de contourner cette loi. En effet, selon Jamel Chorfi, «un promoteur peut très bien posséder un bureau d'étude qui, sur les papiers, est au nom d'une autre personne. Ainsi, il peut être les trois entités en même temps. La loi le permet car juridiquement parlant, ce n'est pas le même propriétaire». Travailler dans l'urgence Autre raison de cette anarchie : l'urgence. A cet effet, Jamel Chorfi explique : «On a toujours travaillé dans l'urgence. Tous les programmes depuis 1962 jusqu'ici ont été construits dans l'urgence. Urgence veut dire non-respect des règles d'urbanisme. Et le résultat est toujours chaotique. Depuis l'indépendance, c'est le maître-mot. Tous les programmes obéissent malheureusement toujours à ce paramètre». Selon le spécialiste, «à force de faire les choses dans la précipitation, nous avons créé un chaos urbain. La guerre, aujourd'hui, n'est plus celle de la quantité mais celle de la qualité. Apparemment, le seul souci des autorités est de mettre fin à la crise du logement. Cependant, tout ce qu'ils ont réussi à faire, c'est de caser les gens et non pas les loger. En prime de tout cela, ils ont créé une crise architecturale». De son côté, Abdelhamid Boudaoud lance un SOS : «Arrêtons le massacre, nous sommes en 2016.» Selon lui, «le mépris envers les architectes ne fait qu'accentuer ce chaos urbain. Comme ils ne sont plus consultés, la situation ne fait que dégénérer». Un avis largement partagé par Jamel Chorfi, qui estime : «On ne fait plus appel à un architecte pour son empreinte architecturale mais pour l'empreinte tout court. Nous n'avons pratiquement besoin de lui que pour la griffe et cela n'est pas normal.» Afin que les choses changent, Jamel Chorfi espère : «Il faut que la police de l'urbanisme fasse son travail. Mais pour cela, il faut lui donner les moyens humains et matériels. On ne peut pas sillonner la ville d'Alger par exemple avec une voiture et trois personnes. Et il faut que tout le monde se sente concerné par ce problème et contribue au changement.»