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Mohamed El Korso. Historien et président de la fondation du 8 Mai 1945 : « J'ai un grand espoir de voir cette proposition de loi aboutir »
Publié dans El Watan le 04 - 03 - 2010

La proposition de loi incriminant le colonialisme, initiée par les parlementaires, vient d'être soumise au gouvernement pour examen. En tant qu'historien, pensez-vous que ce projet est en mesure de réaliser la demande algérienne, concernant la reconnaissance des crimes coloniaux et la demande de pardon par la France au peuple algérien ?
Ce projet incrimine, à mon sens, le fait colonial en tant que fait. Les crimes qui ont été commis sont des crimes d'Etat. C'est vrai qu'ils ont été commis par des personnes, mais c'était au nom de l'Etat français. C'est la raison pour laquelle, le principe, qui a été avancé par le ministre de l'Intérieur et actuel président français, Nicolas Sarkozy, selon lequel les enfants n'ont pas à s'excuser pour des faits de leurs parents, est nul et non avenu ; ce principe n'a pas lieu d'être, puisque ce qui a été commis a été fait au nom de la République française qu'il préside lui-même aujourd'hui.
Deuxièmement, et concernant l'Algérie, ce projet de loi aurait dû être élaboré tout de suite, au lendemain de l'indépendance. Mais il y avait des raisons objectives qui ont fait que l'Algérie devait s'intéresser à des problèmes très urgents (des problèmes économiques, de l'enseignement et la mise en place d'un gouvernement algérien). Ce ne sont toutefois pas des raisons excusables tout à fait, parce que dès 1990, lorsque l'association du 8 Mai 1945 a parlé de crimes coloniaux et de crimes contre l'humanité, il aurait fallu réagir immédiatement. Il est vrai que là aussi, il y avait des circonstances atténuantes que sont la décennie noire et les années de terrorisme.
Cependant, la loi française glorifiant le colonialisme est une loi qui a maturé et qui était en projet dès 1999, avec la reconnaissance de la France de la guerre d'Algérie. Avant cette date, il était question des événements d'Algérie.
Il aurait fallu sauter sur l'occasion pour légiférer en la matière et devancer la loi 2005. Parce qu'actuellement, la partie néocolonialiste pense que c'est la réponse du berger à la bergère. Ce n'est pas tout à fait faux. Mais seulement sur le plan de la temporalité. Le fait colonial a été criminalisé par les Australiens et la Libye tout dernièrement…Le fait que ce texte a remué la scène française est une mise en garde contre l'Algérie. Il n'y a qu'à voir l'attitude de Bernard Kouchner, qui est une ingérence dans les affaires algériennes. Pour ce projet, j'espère qu'il incriminera le fait colonial comme crime d'Etat. Je dirais qu'il faut donner le temps au temps pour que ce projet soit fiable sur le plan juridique. J'ai un grand espoir de voir ce projet de loi aboutir et adopté. Parce ce qu'il serait inconcevable et inimaginable que ceux qui ont fait la révolution ne l'adopte pas.
Dans ce cas, ce serait synonyme de condamnation de ceux qui ont fait la révolution (tous les chouhada). Ce projet doit s'inscrire en droite ligne de l'action entreprise en 1954.
Justement, le projet prévoit la création d'un tribunal pénal spécial et le jugement des responsables des crimes. Ces objectifs sont-ils réalisables ?
Il y a deux problèmes : il y a les Accords d'Evian qui ont amnistié les responsables des actes commis entre 1954 et 1962. Seulement là il y a un très grand mais..., car on a oublié qu'il y a eu agression contre l'Algérie. Etant donné que les auteurs des crimes contre l'humanité et les crimes de guerre sont encore vivants et qu'ils glorifient la torture, les assassinats – je fais allusion à Aussares et aux autres – il n'est pas concevable de mettre sur le même niveau l'agresseur et l'agressé. L'agressé étant l'Algérien, il était de son droit de se défendre en utilisant toutes les armes.
Deuxièmement, je pense qu'il faut mettre l'accent sur le crime d'Etat qui est au-dessus de celui des individus. L'Algérie est en droit de demander réparation et la France en tant qu'Etat a le devoir de prendre en considération cette revendication. Une revendication soutenue par des Français en 1954 et aujourd'hui, car elles sont des revendications légitimes, contrairement à celles des nostalgiques de l'Algérie française. Cette dernière est morte et enterrée définitivement.
En 2005, les historiens se sont levés pour dire que ce n'est pas au Parlement français de légiférer sur l'histoire. Aujourd'hui, cet argument ne s'applique-t-il pas à l'initiative du Parlement algérien ?
D'abord je rends hommage aux historiens français. Mais j'ai un petit peu honte pour nos historiens, pour notre université et nos intellectuels. Nous devons nous acheminer, dès à présent, vers « une désofficialisation » de l'histoire. Il faut mettre les jalons nécessaires pour libérer l'enseignement de l'histoire, par ce que la situation actuelle ne servira pas, à long et à moyen termes, l'acte d'enseigner. L'histoire est une discipline extrêmement sensible et l'officialiser veut dire avoir le droit de regard sur elle en avançant certains faits et en occultant d'autres. L'Algérie doit être forte de la légitimité d'enseigner l'histoire d'une manière objective et avec tous ses aspects négatifs et positifs.
Les dépassements enregistrés sont commis par des hommes et les historiens doivent les assumer. Cela ne fera que grandir l'acte d'enseigner l'histoire et également la révolution nationale. Mais si nous continuons à louvoyer et à occulter les actes qui nous font mal, nous ne rendons pas service au pays et aux jeunes Algériens. Il ne faux pas qu'il y ait des sujets tabous. La libération de l'histoire nous évite son instrumentalisation.


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