Saad Hariri n'est pas rentré au Liban depuis l'annonce de sa démission samedi dernier. «Le président Aoun a reçu le chargé d'affaires saoudien à Beyrouth, Walid Boukhari, et l'a informé que la manière dont s'est produite la démission de M. Hariri était inacceptable», a indiqué la présidence libanaise dans un communiqué. Le président de la République «a réclamé le retour du chef du gouvernement au Liban». Dans un discours diffusé par la chaîne de télévision Al-Arabiya, S. Hariri a démissionné le 4 novembre, invoquant la «mainmise» de l'Iran et de son allié au Liban, le Hezbollah, sur les affaires intérieures du pays. Clarifier les «circonstances» Le président Aoun a «exprimé son inquiétude concernant ce qui se dit à propos de la situation de M. Hariri» à Ryadh, appelant à clarifier «les circonstances» de son séjour dans le royaume wahhabite, lors d'une rencontre avec les ambassadeurs des pays membres du groupe de soutien au Liban. Et parmi eux, les ambassadeurs de France, des Etats-Unis, de Grande-Bretagne et les représentants de l'Organisation des Nations unies (ONU), de l'Union européenne (UE) et de la Ligue arabe. Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a fait état dimanche «d'inquiétudes légitimes» Et de s'interroger : «Est-il assigné à résidence? Va-t-on le laisser revenir?» au Liban. Hier, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, a estimé que S. Hariri était «libre de ses mouvements» en Arabie saoudite. Un peu plus tard dans la journée, Hassan Nasrallah a accusé l'Arabie saoudite de «détenir» Saad Hariri. Il a par ailleurs reproché à Riyadh d'avoir demandé à Israël de frapper le Liban, au moment où la tension est à son paroxysme entre l'Arabie saoudite et l'Iran. «Le chef du gouvernement libanais est détenu en Arabie saoudite, on lui interdit jusqu'à ce moment de rentrer au Liban», a déclaré Hassan Nasrallah lors d'une allocution télévisée. «Il est assigné à résidence», a-t-il relevé, réclamant à l'Arabie saoudite de le «libérer». Le chef du Hezbollah a une nouvelle fois assuré que le chef du gouvernement libanais a été «obligé» par les Saoudiens de présenter sa démission, et de «lire un texte écrit par eux». «Ce qu'il y a de plus dangereux, c'est inciter Israël à frapper le Liban», a indiqué Hassan Nasrallah. «Je parle d'informations assurant que l'Arabie saoudite a demandé à Israël de frapper le Liban», a-t-il ajouté. La veille, le président français Emmanuel Macron a effectué une visite en Arabie saoudite où il s'est entretenu avec le jeune prince héritier Mohammed Ben Salmane. Selon l'agence de presse d'Etat saoudienne SPA, «le président français a condamné cette attaque au missile sur Riyadh par les Houthis, et souligné la solidarité de la France avec le Royaume». SPA a ajouté que le prince Salmane et Emmanuel Macron ont «également discuté des récents développements au Moyen-Orient et de leurs efforts pour la sécurité et la stabilité dans la région, y compris via une coordination dans le combat contre le terrorisme». Dans un communiqué, l'Elysée a indiqué de son côté que les deux hommes ont «échangé longuement sur l'importance de préserver la stabilité de la région, lutter contre le terrorisme et surtout travailler à la paix». Au sujet du Yémen, Emmanuel Macron «a souligné sa préoccupation sur la situation humanitaire et sa disponibilité à faciliter une sortie de crise politique», a ajouté la présidence française. Il a aussi «rappelé l'importance que la France attache à la stabilité, la sécurité, la souveraineté et l'intégrité du Liban». Plus tôt, le président Macron a déclaré que des «contacts informels» ont été établis avec Saad Hariri et a assuré que ce dernier n'a pas demandé à venir en France. La démission de Hariri intervient alors que la tension entre l'Arabie saoudite et l'Iran ne fait que s'exacerber ces derniers jours, notamment sur la guerre du Yémen. Mercredi, Téhéran a recommandé à Riyadh de se méfier de «la puissance» de l'Iran. «Vous connaissez la puissance et la place de l'Iran dans la région. Des plus grands que vous s'y sont cassé les dents. Vous n'êtes rien!», a déclaré le président iranien Hassan Rohani à l'adresse des dirigeants saoudiens, lors d'un discours en conseil des ministres retransmis par la télévision d'État. «Les États-Unis et leurs alliés ont mobilisé tous leurs moyens contre nous et n'ont rien pu faire», a ajouté H. Rohani en faisant référence à la guerre dévastatrice déclenchée en 1980 par l'Irak contre la jeune République islamique, avec le soutien des pays occidentaux et arabes. «Nous voulons le bien et le développement du Yémen, de l'Irak, de la Syrie et même de l'Arabie saoudite. Il n'y a pas d'autres voies que l'amitié, la fraternité et l'entraide», a déclaré le président iranien. «Si vous pensez que l'Iran n'est pas votre ami et que les États-Unis et le régime sioniste sont vos amis, vous faites une erreur stratégique et de calcul», a observé le président iranien, faisant écho à de récents propos du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu selon qui la «menace» iranienne contribue à un rapprochement inédit entre Tel- Aviv et ses voisins arabes. Après l'interception samedi dernier au-dessus de la capitale saoudienne d'un missile tiré par les rebelles yéménites houthis, que l'Iran dit soutenir politiquement mais pas militairement, les deux pays se sont livré une passe d'armes. Dans sa déclaration le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salmane, a vu mardi dans ce tir une «agression militaire directe par le régime iranien» qui «pourrait être considérée comme un acte de guerre contre le royaume». L'Iran a rejeté ces accusations comme étant «contraires à la réalité». Le président Rohani a exhorté l'Arabie saoudite qui dirige depuis 2015 une coalition arabe au Yémen en soutien aux forces gouvernementales, à cesser les bombardements qu'elle mène sur les régions contrôlées par les rebelles Houthis et à mettre fin au blocus qu'elle impose à ce pays. «Vous (…) bombardez» les Yéménites «sans cesse» mais «lorsqu'ils vous répondent une fois avec une balle, c'est injuste? Que peut faire le peuple yéménite?» a-t-il indiqué. Mardi, face à l'intensification des bombardements de la coalition arabe, les rebelles houthis, issus d'une branche du chiisme, ont menacé de prendre pour cibles avec leurs missiles les aéroports et les ports saoudiens et émiratis. Le président iranien a par ailleurs fait un lien entre le regain d'activisme saoudien hors des frontières du royaume et la situation interne en Arabie saoudite. «Si l'Arabie saoudite rencontre des problèmes internes, elle doit chercher à les régler et tenter de créer des problèmes aux autres peuples de la région», a-t-il dit, en allusion aux purges sans précédent menées la semaine dernière à Ryadh contre des princes, ministres, anciens responsables et hommes d'affaires accusés de corruption. Les deux pays soutiennent des camps opposés dans les principaux conflits au Moyen-Orient, notamment en Syrie, au Yémen, en Irak, et s'opposent aussi sur la situation au Liban et à Bahreïn. L'ére Khomeyni Depuis l'arrivée de l'ayatollah Kho-meyni au pouvoir et la proclamation de la République islamique en 1979, les relations entre l'Iran et l'Arabie saoudite ne connaissent que convulsions. D'autant que Téhéran a pour ambition d'exporter sa révolution. D'où la peur de Riyadh de connaître des troubles intérieurs qui ont provoqué la chute du Chah d'Iran, pourtant allié des Etats-unis. En 1980, est déclenchée la guerre entre l'Iran et l'Irak. L'Arabie saoudite soutient l'Irak malgré les différences idéologiques entre les deux pays. Le 31 juillet 1987, les autorités saoudiennes répriment une manifestation anti-américaine et anti-israélienne menée par des Iraniens en pèlerinage à La Mecque. Répression qui a provoqué la mort de 402 pèlerins, dont 275 Iraniens. En réaction, des manifestants saccagent l'ambassade saoudienne à Téhéran, et retiennent des diplomates en otage. En avril 1988, l'Arabie saoudite rompt ses relations diplomatiques avec l'Iran. En 2003, l'invasion américaine de l'Irak inquiète l'Arabie et marque la chute de Saddam Hussein. Le pays est dirigé par un chiite, Nouri Al-Maliki, jusqu'en 2014. En mars 2011, le royaume saoudien envoie des militaires au Bahreïn qui écrasent le mouvement de protestation qui menace le pouvoir en place. En Syrie, depuis 2011, l'Iran est le principal soutien du régime de Bachar Al-Assad. L'Arabie saoudite, elle, soutient les groupes rebelles de l'opposition, majoritairement. En mars 2015, Riyadh met sur pied une coalition de pays pour soutenir le président du Yémen, Abd Rabo Mansour Hadi, renversé par les houthistes, une rébellion d'obédience zaïdite, une branche du chiisme qu'elle accuse Téhéran de soutenir. Par ailleurs, l'accord du 14 juillet 2015 sur le nucléaire iranien entre Téhéran et les grandes puissances permet à la République islamique de revenir sur la scène internationale. L'Arabie saoudite s'est opposée à cet accord, qui permet à l'Iran d'étendre son influence régionale. Le 2 janvier 2016, l'Arabie saoudite exécute 47 personnes condamnées pour «terrorisme», dont le dignitaire chiite Nimr Al-Nimr, figure de la contestation contre le régime saoudien. Cette mise à mort suscite des manifestations en Iran. Le lendemain, Riyadh rompt ses relations diplomatiques avec Téhéran après l'attaque de son ambassade en Iran.