A Tamanrasset, Djam, 32 ans, a participé au tournage du court métrage Izou sur Mars de Salah Issad. Il en a profité pour mettre en images un nouveau clip. Djam envisage une nouvelle saison pour la série Dar Bob. El Watan Week-end a rencontré l'un des artistes algériens les plus créatifs de sa génération. Interview. – Beaucoup d'attachement à l'Afrique, à la culture et à les sonorités africaines dans vos chansons, notamment dans votre prochain album Zdeldel. Pourquoi l'Afrique vous inspire-t-elle tant ? Je ne saurais expliquer pourquoi la musique africaine me parle. Dans les moments de composition, j'essaie de m'en éloigner mais je me retrouve toujours à créer des morceaux avec un groove africain derrière. C'est devenu une signature. Le groove africain m'attire. C'est un rythme qui boite, qui donne envie de danser. Un rythme décalé par rapport aux rythmes occidentaux. Tout ce décalage m'intéresse. C'est original. Il n'appartient pas à tout le monde de faire cela. Les plus beaux titres musicaux au monde sont des titres très simples. Moi, j'adore la musique compliquée ! – Y compris pour les percussions ? Exactement. C'est autour de cela. Le rythme, le groove de la basse et tout. Je trouve que ce que je fais diffère quelque peu de ce qui se fait actuellement sur la scène algérienne. C'est peut-être ma valeur ajoutée, ma touche personnelle – Vous avez aussi beaucoup d'attachement à la musique diwane, au gnawi, depuis le début de votre carrière avec les Djmawi Africa. Pourquoi ? Au début de Djmawi Africa, nos influences étaient liées aux groupes et chanteurs qui tournaient à l'époque comme Gnawa Diffusion, Gaâda Diwan Béchar, Karim Ziad, Cheikh Sidi Bemol, etc. C'était le diwane. Tout jeune guitariste passe par le blues. J'ai trouvé que nous avons un blues particulier qui vient de l'Afrique, du Sud algérien, du gnawi. Je me suis dit que nous avons un blues qui nous appartient dont nous nous réclamons tous. – Il y aussi la musique targuie avec le Asouf qui est considéré comme le blues du Sahara… Musique targuie et musique diwane sont des gammes pentatoniques, des gammes bluesy à cinq notes. Comme celles qu'on trouve dans le gumbri et dans les chants de Tinariwen ou Imzad. C'est donc un style algérien. Quand je joue ailleurs au monde, je dis que ce blues vient de chez moi. – C'est donc une réappropriation de cette musique ? Voilà. Avec un arrangement plus ou moins original avec une touche en plus. Le gnawa traditionnel se joue avec un tbel, un gumbri, des karkabous, des chants, djouab, khmassa et tout. Dans notre musique, il y a cette base, mais nous faisons de la recherche. – La touche de Djam est également dans les paroles. Il y a de l'engagement et de la critique sociale dans vos textes. Qu'est-ce qui vous motive le plus dans l'écriture des chansons ? Je m'inspire du quotidien, de mes amis, de ma famille, de mon frère, de la télévision algérienne (ENTV)… Je vois la censure et des problèmes qui ne sont pas évoqués clairement. Il est vrai qu'il existe des télés privées, mais il y a toujours quelqu'un derrière et qui serait proche du gouvernement. Heureusement qu'il y a Facebook, Youtube et les autres réseaux. On peut publier nos œuvres, nos clips, nos chansons… Evoquer tous ces sujets, c'est venu naturellement. J'ai grandi à El Harrach, un quartier populaire à l'Est d'Alger. Ma mère chantait avec les M'semate (des ensembles traditionnels féminins de fêtes). J'ai hérité d'elle ce don de la musique. J'écoutais ma mère faire un istikhbar en mode andalou et interpréter des chants traditionnels algériens. J'étais bercé dans cette ambiance, surtout qu'il y avait une guitare à la maison. J'ai commencé à gratter cet instrument. Et c'était parti. – Votre mère vous a montré le chemin très tôt… Naturellement ! Parlez-nous de la naissance de Djmawi Africa à Alger en 2004 et de la carrière que vous avez eue avec ce groupe… C'était une belle expérience. Dix ans de carrière ! Nous avons évolué ensemble. Après dix ans, j'ai eu comme une envie de passer à autre chose. C'est beau d'être en groupe. Il y a un esprit de famille. Mais, à un moment donné, on veut avoir une liberté totale. Une liberté d'expression par rapport à la musique et à la création. Lorsqu'on fait de la musique en groupe, on ne décide pas à 100 % puisque la décision est collective. Je veux faire un son qui me représente. Quand on est lead-vocal, forcément il y a des musiciens derrière qu'il faut respecter, parler en leur nom, etc. J'ai envie d'être libre. – D'où donc le début de la carrière solo en tant que Djam à partir de 2016… C'est cela. Quand j'ai décidé de quitter Djmawi, j'ai informé le groupe une année à l'avance. Je me suis engagé à faire tous les concerts au programme. La dernière année, nous avons fait une tournée dans cinq ou six pays. C'était tombé avec ma décision de partir en France pour des études en Master II musicologie à l'université de Paris. A Paris, j'ai rencontré plein de monde. Je veux collaborer avec des musiciens d'autres pays, des Brésiliens, des Serbes, des Français… Je suis dans un cadre qui me convient à 100% ; je suis dans une école de musique avec des musiciens autour de moi. Je suis dans le bain idéal, en fait. – Zdeldel est le titre de votre prochain album, le premier de votre carrière solo. Pourquoi ce titre ? Zdeldel, titre bizarre, c'est vrai ! Je suis tout le temps décalé. Décalé dans la musique, les rythmes et tout. En fait, Zdeldel est mon surnom. C'est aussi une rythmique. Pour montrer un rythme à quelqu'un, je fais Zdel tag zdel zdel, au lieu de Doum tag doum tag. Ce mot est créé de toute pièce. Zdeldel est le titre de mon nouvel album ; à la base, c'est un groove que je chante. L'album contient tous les titres déjà sortis en single comme Dinar, Briya, Djon Maya et Meryem. J'ai une quinzaine de chansons dans le frigo. Je ne vais pas tout mettre dans l'album. Il y a deux directions dans l'album. D'abord, moderne. Moderne dans la composition comme Leave my bladi ou Meryem où l'on trouve du reggae du moment à la Damian Marley ou Alborosie. Et l'autre direction est traditionnelle, dans le groove africain. C'est acoustique avec plein de musiciens invités comme Omar El Barkaoui, le jeune batteur marocain et Pierre Bonnet, le bassiste français. Des musiciens spécialisés dans ce genre de musique. Ils vous donnent l'authentique que vous cherchez. Bref, de l'africanité… – Vous racontez quoi dans la chanson Dinar ? La chanson aborde le sujet du mariage en Algérie, pas celui de l'argent ou de la monnaie. J'évoque tous les clichés relatifs au mariage d'une manière un peu humoristique. – Il y a toujours de la dérision dans vos chansons. Comme Hchich ou pois chiche par exemple (titre phare de l'album Avancez l'arrière de Djmawi Africa, sorti en 2013)… Hchiche ou pois chiche raconte aussi une histoire drôle. Cette chanson a eu plus de succès au Maroc qu'en Algérie. C'est bizarre, mais c'est comme ça. – Est-ce que ce côté léger et humoristique est le chemin le plus court pour arriver aux cœurs de ceux qui vous écoutent ? C'est exactement cela. Quand on fait passer un message d'une manière simple, c'est là que le jeune Algérien peut s'y retrouver. En musique et en paroles, Hchiche ou pois chiche est une chanson simple. Deux accords et demi et une rime de «ich», ça a marché. – Il y a aussi Fi bladi Bezzaf… Bezzaf pour exprimer le ras-le-bol. C'est un cri de cœur avec une musique festive. Je me suis lâché dans cette chanson. – Un passage du single Briya, qui sera dans votre prochain album, empêche sa diffusion à la radio et dans les télés actuellement. Pourquoi ? Dans la chanson, je raconte l'histoire d'une lettre que j'ai reçue et que je n'ouvre pas. J'essaie de deviner qui aurait pu me l'envoyer. Je me dis que c'est la belle brune de mes rêves ou peut-être que le service militaire m'a envoyé une missive. Autour de moi, les amis et la famille, je constate l'existence d'une certaine phobie à l'égard du service militaire qui est obligatoire en Algérie. A chaque fois, avant de passer les frontières, on est obligé d'appeler pour savoir si on est recherché ou pas (pour passer le service militaire). J'ai évoqué cette question, encore une fois, avec dérision. Ce n'était pas engagé et je n'ai visé personne. C'est un problème comme un autre. A cause de ce passage sur le service militaire, la chanson Briya est censurée sur les radios et les télévisions même privées. Il n'y a qu'El Djazaïria qui a diffusé le clip. – Dans la chanson Leave my bladi, on sent le cri de colère du jeune chanteur Djam aussi… Cette chanson est venue quand j'ai quitté l'Algérie en 2006 pour mes études en France. C'était la première chanson composée. Dans Leave my bladi, je me suis posé la question : pourquoi j'ai quitté l'Algérie ? A ce moment-là, j'ai commencé à écrire. C'est vrai, il y a un cri de colère. Le titre est engagé. J'évoque toutes les richesses perdues de l'Algérie. Je ne suis pas là pour réclamer mes droits. Je garde mon histoire personnelle pour moi. Un jour peut-être, les gens sauront d'où je viens, où je vis et où ma mère vit. Là, ils pourront comprendre beaucoup de choses. J'avoue que dans cette chanson, je ne suis pas allé au bout de ce que je voulais dire – Vous vous êtes autocensuré ? Je ne suis pas parti aussi loin où je voulais malgré son caractère engagé. A chaque fois, je veux avoir un côté positif dans ce que je fais. Je ne me suis pas autocensuré, mais au lieu de viser, j'ai caricaturé en fait. Les jeunes qui fréquentent les stades connaissent la suite de ce que je chante. Je dis : «Eli yaaref la suite, yeghniha lokhrine» (Celui qui connaît la suite qu'il la chante aux autres). Pour moi, l'engagement n'est pas politique ou social. L'engagement pour moi consiste à faire passer un message avec de la subtilité et la sincérité. Je ne vise pas des personnes précises dans mes chansons. Je préfère évoquer la société algérienne dans son ensemble, la jeunesse algérienne. Une jeunesse qui crie au secours, demande de l'aide, qui quitte l'Algérie en prenant des risques pour un avenir meilleur. Je représente un peu ces jeunes-là. J'ai la possibilité de m'exprimer par la musique avec des gens qui me suivent. Je suis le porte-parole de mon entourage. J'essaie d'évoquer des sujets qui me touchent moi en premier lieu et touchent la jeunesse algérienne. L'avenir appartient aux jeunes. La musique facilite le passage des messages. C'est connu. – Qu'en est-il de Djon Maya ? C'est une chanson coup de cœur du Burkina Faso. Avec Djmawi Africa, je suis parti en 2010 au Festival du jazz de Ouagadougou. J'ai rencontré le chanteur burkinabé, Victor Démé (décédé en septembre 2015). En écoutant sa chanson, j'avais eu des frissons. J'ai cherché les paroles pour les apprendre. J'interprétais la chanson avec les amis. Ils m'ont encouragé à la reprendre dans ma propre version. C'était une façon de rendre hommage à l'Afrique. Mes plus belles expériences étaient dans les pays de notre continent, le Burkina Faso, le Mali, la Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Cameroun… Dans mon album, j'ai prévu aussi un hommage à Nelson Mandela (la chanson Madiba, surnom du leader historique sud-africain) – Y a-t-il une date pour la sortie de Zdeldel ? Et envisagez-vous faire une tournée pour la promotion de l'album ? Zdeldel sortira au printemps 2018, probablement en mars. Cela dit, il y a souvent des imprévus, surtout dans la musique. Juste après la sortie de l'album, il y a aura une tournée de promotion en Algérie. Des partenaires sont prêts à nous accompagner. Nous voulons faire le plus de villes en Algérie avant de tourner ailleurs. – Quatre clips sont déjà sortis pour accompagner les titres de l'album. En avez-vous prévu d'autres ? Deux clips sont en pleine préparation. Ils vont précéder la sortie de l'album. Le clip est devenu important pour la promotion de l'album. C'est une nouvelle stratégie. Avant, on sortait album, après on commençait à faire des clips. Là, on a renversé la tendance. On fait sortir le ou les singles avec des clips avant la mise en vente de l'album. On donne toute l'importance qu'il faut au single. Les gens vont l'écouter, le partager, l'aimer… Après, on laisse l'exclusivité de six ou sept titres pour l'album.