Depuis l'annonce, dimanche, de la candidature de Abdelaziz Bouteflika pour un 5e mandat, la rue se fait l'écho de la colère et de l'indignation des Algériens (ou une partie) face à cette option que d'aucuns jugent dangereuse. On auait dit que le pays (abstraction faite du pouvoir et sa périphérie) s'attendait à un sursaut moral de la part de celui qui gouverne depuis 20 ans. Mais l'annonce a ainsi fait monter d'un cran le rejet de cet état de fait, et peut-être affranchi des Algériens qui franchissent le mur de la passivité. Hier, plus d'une centaine de jeunes ont traversé la rue de la République en plein centre-ville de Bordj Bou Arréridj, scandant des mots d'ordre hostiles à la «ôuhda khamissa», le 5e mandat, et des propos clairement insultants à l'égard du président de la République, et son Premier ministre, Ahmed Ouyahia. Les vidéos virales, publiées instantanément sur les médias sociaux, montraient une procession de manifestants défilant sans être inquiétés par les forces de sécurité, d'habitude promptes à réprimer tout débordement de nature à attenter aux symboles de l'Etat. La police a-t-elle reçu l'ordre de laisser faire par le ministre de l'Intérieur, Nouredine Bedoui, celui-ci croyant ouvrir une soupape dans l'espoir que la tempête passe sans dégâts ? C'est fort possible, s'agissant d'un levier éprouvé dans la gestion de la colère de la foule, notamment dans les stades. N'est-ce pas d'ailleurs que les gradins des clubs algérois rivalisent librement depuis des mois par des chants sarcastiques et au vitriol adressés aux symboles du pouvoir, à leur tête le chef de l'Etat ? D'autres vidéos avaient circulé auparavant sur des manifestations à Béjaïa, mais elles se sont avérées anciennes. Sur Facebook, surtout, la manipulation est fréquente. Fake news et décontextualisation de documents provoquent inexorablement la désinformation. Mais les plus récentes sont authentifiées. La manifestation du pays des Bibans fait suite à celle organisée la veille à Chlef, et avant cela à Tizi Ouzou et Oran. A chaque fois, les événements sont filmés et postés sur la Toile, qui se charge de la diffusion de l'information, provoquant des déluges de commentaires, majoritairement approbateurs et hostiles au pouvoir en place. Les vidéos d'Oran et de Chlef se distinguent par un chant destiné à la personne de Bouteflika, lui signifiant clairement qu'il n'est point question de briguer un 5e mandat. Le point commun aussi, c'est le laisser-faire des services de sécurité. En trois jours, il y en a eu plusieurs de ces manifestations populaires contre le 5e mandat de Bouteflika. Des actions qui demeurent «tolérées» par les autorités, tant que cela demeure limité à une expression de colère d'une taille «contrôlable», qui finit au bout d'une ou deux heures de temps. Mais rien n'est sûr. La candidature de Bouteflika, et avant cela le scandaleux show de la Coupole, sont devenus en moins d'une semaine un abcès de fixation et les objets d'une haine jamais autant exprimée par le peuple envers ses gouvernants. Elles expriment clairement le climat délétère qui caractérise l'Algérie et la crainte exprimée par l'élite politique. La rue, en effet, demeure le dernier recours des Algériens face à l'autisme du pouvoir politique et sa hogra. Mais dans ce cas de figure, les facteurs inconnus sont plus nombreux dans l'équation.