Le Parti socialiste (PS), habituellement critique à l'égard de l'Algérie, est discret. Depuis qu'il est question d'un traité d'amitié entre la France et l'Algérie, le PS, principale force d'opposition, adopte un profil bas. L'idée est reconnue par Alain Chenal, responsable de la coopération internationale à la Fondation Jean-Jaurès. « On se tait trop sur des cas choquants d'atteinte à la liberté de la presse en Algérie », dit-il lors d'une rencontre au siège de la fondation à la cité Malesherbes, à Paris. « Nous savons que le champ politique n'est pas ouvert et que les opposants n'ont pas le droit de se faire entendre », ajoute-t-il. Alain Chenal, qui connaît parfaitement le monde méditerranéen, estime que le PS veut éviter de tomber dans le piège du « paternalisme ». Mais il y a comme une reconnaissance que le parti de François Holland, pris ces derniers temps par la campagne positive pour la Constitution européenne, n'entend pas « gêner » le président Chirac dans la gestion des relations extérieures. La limite semble être d'éviter « la connivence ». « Au PS, et depuis trente ans, le sujet qui a crée le plus de tension et suscité le plus de passion est celui de l'Algérie », reconnaît-il. Alain Chenal, qui pendant un temps fut le voisin, à la cité U, de Abdelatif Benachenhou, ministre des Finances, note que le traité d'amitié avec l'Algérie est « une priorité absolue ». « La France doit avoir un rapport de premier plan avec l'Algérie », dit-il. La Fondation Jean-Jaurès, qui dépend du PS, développe plusieurs projets en Irak, Jordanie, Turquie et Europe centrale. Sa priorité actuelle est le Liban. En Algérie, en collaboration avec le FFS, elle a fait un travail sur la décentralisation. « Mais l'Algérie n'est pas le pays où on est le plus présent. On n'a pas tous les atouts pour intervenir... La politique y est compliquée », avoue Alain Chenal. Il déplore « le manque d'interlocuteurs » en Algérie. Driss El Yazami, responsable à la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), regrette que son organisation ne soit pas autorisée à visiter l'Algérie. Autant pour les autres ONG de défense des droits humains. « Nous avons pourtant reçu des assurances de M. Dembri lorsqu'il était représentant de l'Algérie au comité onusien des droits de l'homme à Genève (...). En nous refusant l'accès, les autorités algériennes nous empêchent de travailler », dit-il. Il rappelle que la FIDH, dont le siège central est Paris, travaille dans 80 pays et élabore chaque année presque 140 rapports sur la situation des droits humains dans le monde. « L'Algérie n'est pas notre ennemie », insiste El Yazami. Son organisation est préoccupée par l'évolution du dossier des disparitions forcées. « C'est un crime qui continue (...). Mais il y a au moins une reconnaissance des autorités. L'indemnisation pécuniaire ne règle pas le problème. Il y a l'exigence de vérité et de justice. Les Algériens ont le droit de savoir ce qui s'est passé », précise-t-il. A la faveur de la réunion du Conseil d'association de l'Union européenne-Algérie, Sidiki Kaba, président de la FIDH, a saisi, par lettre, les décideurs de Bruxelles. Dans cette lettre, il a exprimé sa « vive inquiétude » sur la situation des droits humains dans le pays. « La FIDH exprime son inquiétude concernant le projet d'amnistie générale qui devrait être prochainement proposé par le gouvernement par voie référendaire. L'amnistie générale risque de priver les victimes de leur droit légitime à la justice, de ne pas permettre à leur famille de connaître la vérité et d'ouvrir la voie à l'impunité des responsables », est-il relevé. Selon la FIDH, le récent amendement du code de la famille maintient des dispositions discriminatoires à l'égard des femmes. L'ONG ne comprend pas l'utilité de l'état d'urgence en vigueur depuis 1992. « L'abrogation de la loi sur l'état d'urgence est indispensable au respect de l'Etat de droit en Algérie », estime-t-elle. Driss El Yazami relève « un recul net » de la violence terroriste en Algérie. Il dit que la FIDH n'est pas complexée concernant cette question. « Le problème se pose chez ceux qui veulent reculer sur les droits de l'homme pour combattre le terrorisme », fait-il remarquer. Jean-Louis de Bruguière, juge chargé des dossiers liés au terrorisme, évoque, à l'occasion d'un petit-déjeuner dans un restaurant discret de Paris, la mondialisation de la menace. Pour lui, les groupes terroristes agissent en « cellules autochtones ». Le danger provient, selon ses analyses, de l'Asie du Sud-Est. Il cite l'Indonésie, le Pakistan et la Malaisie. « L'Irak et le Caucase sont des champs de manœuvre importants », constate-t-il. A propos de l'Algérie, il évoque le GSPC, qui aurait rejoint l'obscure organisation Al Qaîda. Seulement voilà : « Ce n'est pas le GSPC qui est important. Ce sont les réseaux qui nous intéressent », dit-il. D'après lui, des Algériens et des Marocains vivant en Europe, soupçonnés de liens avec des groupes subversifs, circulent avec de faux papiers. De Bruguière n'est pas préoccupé par le fondamentalisme, « qui est une idéologie », mais par l'islam radical, « l'approche takfir » en particulier. Il remarque que des chrétiens, « surtout des femmes », se convertissent à l'islam. Il craint qu'ils ne soient pris en charge par les partisans de l'extrémisme. Sans trop de détails, le juge de Bruguière annonce sa venue prochaine en Algérie. « La problématique du GIA est dépassée », dit-il. N'empêche, l'instruction sur l'affaire du détournement de l'Airbus d'Air France à l'aéroport d'Alger, en décembre 1994, vient d'être relancée. « Tout n'a pas encore été dit sur cette affaire. Il existe des zones d'ombre sur les commanditaires », précise-t-il. Il en est visiblement de même pour l'affaire des moines de Tibhirine (Médéa). « L'enquête suit son cours », indique le juge. De Bruguière, qui a conseillé Washington sur le dossier Ressam, estime qu'il existe « une excellente coopération » avec les Américains sur la lutte contre le terrorisme dans la zone du Sahel. Il souhaite que les pays du Maghreb, la Libye comprise, constituent « un arc de protection » contre les activités terroristes. Protection de l'Europe, s'entend.