Le rapport de force auquel a œuvré l'opposition politique ces dernières années a finalement été créé. Mais il ne suffit plus. La mobilisation dans la rue ne faiblit pas depuis un mois et demi et les manifestations du vendredi sont toujours aussi impressionnantes, avec un pacifisme et une détermination jamais démentis. Mais derrière l'habillement politique et officiel accompagnant cette dynamique populaire, se profile l'ombre d'un système qui tente un reprofilage de façade sans dommages pour ses bases desquelles il finirait par régénérer de la manière la plus spectaculaire. Des concepts nouveaux sont allègrement adoptés pour mieux voiler la réalité et la profondeur de la crise, en validant la thèse de la «bande» pour épargner le système et en montant en épingle l'improbable équipe des «3B», ou le sort d'un seul oligarque, pour cacher le maquis de la corruption. Le discours populiste a redoublé de férocité et de maladresse, parfois de mensonges, et la tentation répressive a fini par s'afficher ces derniers jours. Le système est toujours en place, dans toute sa splendeur, en pleine besogne de management de ce que les observateurs appellent à raison «l'intérim constitutionnel». Le centre de gravité de ce système a été déplacé, mais sa force d'inertie est d'égale intensité. Un nouvel épisode du déni de la réalité est enclenché, en instaurant un énorme filtre sur les revendications et les clameurs de la rue. Le pouvoir, qui est toujours là, s'étant même raffermi en récupérant quelques prérogatives oubliées à la Présidence, sait qu'il évolue sur la corde raide, en promettant l'ouverture tout en travaillant pour la continuité. En face, dans la rue, la phase est également critique. A moins d'une révolution dans la révolution, le fleuve tranquille de la protestation peut être détourné ou, pire, déborder. Le mot d'ordre de rupture radicale avec le système risque d'être noyé dans la chronique des événements de nature artistique ou les plaidoyers en faveur de la solidarité et de l'environnement. La défiance exagérée à l'égard des figures connues de l'opposition, anciennes et nouvelles, relativise la notion de maturité politique et révèle les scories d'un passé où l'action militante était la cible d'anathèmes et de répression. La capitalisation des «parcours politiques vertueux» n'est pas un vain mot ni une vaine entreprise, elle est même un défi majeur et vital pour cette dynamique populaire qui a donné la preuve de sa force de mobilisation mais toujours en quête de mécanismes de proposition pour peser d'une façon déterminante dans ce tournant décisif que vit le pays. La rupture s'imposera dans les institutions quand, au sein de la société, le projet démocratique fera jonction avec la vigueur de la jeunesse en mouvement.