A la guerre d'usure, les détenteurs de la décision politique seront forcément vaincus. Si les derniers fragments du système se cramponnent à des intérêts étroits et à une rente quasiment tarie, le peuple est porté par le souffle inextinguible de la liberté. Il en donne la preuve chaque vendredi à travers des manifestations toujours aussi grandioses et une mobilisation qui en annonce d'autres pour les prochaines semaines. L'élan populaire est en train de passer tous les obstacles et de mettre en échec les manœuvres que d'aucuns appellent «contre-révolution» mais qui ne sont en fait que les ultimes soubresauts d'un système qui se sait fini et condamné par la vox populi. Même s'ils manifestent avec le sourire et dans la joie, les Algériens ne décolèrent pas d'avoir été maintenus pendant des décennies, sinon depuis l'indépendance, sous un ordre autoritaire et hégémonique, dans la précarité socioéconomique et l'automutilation culturelle. Le vendredi n'est plus seulement un jour de mobilisation, il est aussi un moment de décantation et de ressourcement. Les enjeux se clarifient et les priorités sont réaffirmées. Dans la rue, la générosité et la solidarité citoyennes sont opposées aux velléités de division et aux tentatives de semer le doute ou la haine. Les voix de la contestation se comptent par millions mais se rejoignent sur le même objectif : le changement radical du système et la lutte pacifique comme seul mode opératoire. Les derniers stratagèmes conçus pour faire dévier le mouvement sont neutralisés dès les premiers pas engagés pendant ces marches historiques, défiant des officines qui, sous divers visages, tentent la diversion ou l'enlisement sur des questions qui parasitent puisqu'elles n'accompagnent pas la révolution en cours. Dans leur spontanéité et leur volonté d'entrevoir l'avenir avec sérénité, les manifestants ne font pas écho aux slogans en rapport avec les traumatismes des années 1990, instillés dans la foule dans le but d'accabler un clan déjà vaincu, ou encourageant la concurrence des drapeaux pour provoquer une fracture fatale dans le mouvement populaire. L'élan libérateur qui parcourt le pays est d'une amplitude telle qu'il porte toutes les libertés et concentre toutes les aspirations, politiques, culturelles et économiques. La nouvelle Algérie, jeune, innovante et ambitieuse, est déjà dans la rue, l'enjeu actuel est qu'elle accède aux commandes du pays pour dessiner elle-même sa destinée. Ce ne sont pas seulement les manœuvres ou la répression qui contrarient cette volonté d'affirmation et d'émancipation, mais également la difficulté à opérer le renouvellement générationnel dans les élites de l'opposition, à telle enseigne qu'une politologue a affirmé que s'il y a un dialogue à engager, ce sera entre le mouvement populaire et les partis prônant le changement. Quand l'énergie et la force de conviction affichées par des citoyens anonymes lors des débats publics résonneront dans les instances de négociation et de proposition, le «système» réalisera sa défaite définitive.