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Les minorités religieuses en Algérie et « l'occidentophobie »
Publié dans El Watan le 28 - 04 - 2010

L'Algérie a garanti aux chrétiens l'exercice de leur culte en toute liberté et sérénité dans les lieux destinés à cet effet, conformément à l'ordonnance régissant l'exercice des cultes, promulguée en 2006 »(1), a dit le ministre des Affaires religieuses et des Wakfs, lors d'un colloque organisé à Alger sur la liberté de culte en février 2010. Il précise qu'en Algérie, depuis 1962, « il y a 15 000 associations religieuses, dont même des organisations juives ». Le proverbe dit : « Fais comme chez toi, mais n'oublie pas que tu es chez moi. »
Ce proverbe peut s'appliquer à cette fameuse loi de février 2006. Quand le ministre parle de 15 000 associations religieuses, il oublie de préciser combien d'associations algériennes de cultes chrétien et judaïque sont agrémentées. Quand il dit que l'Algérie a garanti aux chrétiens l'exercice de leur culte, il oublie également de préciser que ces chrétiens sont les chrétiens étrangers mais pas les chrétiens algériens. Car, comment explique-t-il les refus d'agrément pour les chrétiens évangéliques ainsi que la diabolisation et le lynchage médiatique infligés à ces derniers ? Comment explique-t-il qu'une jeune fille qui porte dans son sac un Evangile, suite à un contrôle de police, a été accusée de prosélytisme ? Comment explique-t-il le refus des visas aux hommes de l'eglise qui veulent se rendre en Algérie ?(2) Comment explique-t-il qu'un prêtre qui célèbre une messe de Noël en plein air à Maghnia, faute d'espace pour les immigrants subsahariens, a été accusé de prosélytisme ? Finalement, tout le monde peut être accusé à tort ou à raison de prosélytisme, et cette loi en question n'est qu'un exemple de cette liberté conditionnée. Elle est en contradiction avec la Constitution algérienne qui garantit les libertés de consciences.
On peut s'interroger sur le rôle du Conseil constitutionnel : cette institution est malheureusement réduite à l'acceptation des candidats aux élections présidentielles et sa validation ! En outre, quand il affirme que la société algérienne « est tolérante et n'attente aucunement à la liberté d'autrui, chrétiens et juifs compris ».(3) Il s'agit également ici du chrétien étranger et pas du chrétien algérien. Honnêtement, pensez-vous, chers lecteurs, qu'un chrétien algérien sera accepté par sa société. Les convertis sont souvent considérés comme des « chercheurs de visa », après avoir été considérés pendant la période coloniale comme des « chercheurs de pain » !
Les autorités religieuses n'arrivent pas à accepter l'idée que des citoyens issus de la religion musulmane se convertissent à une autre religion. L'idée de trouver sa voie ou d'avoir la foi dans une autre confession semble déranger les schémas de croyances répandues. En ce qui concerne les juifs algériens, combien sont-ils ? Pourriez-vous imaginer qu'une synagogue soit ouverte en Algérie ? Quelle serait la réaction des Algériens ? Pourtant, il existe des synagogues à Dubaï, au Maroc, en Tunisie, en Egypte, en Jordanie, etc. Les Algériens seraient-ils plus ultramusulmans que les autres ? La question des juifs est souvent réduite à la crise du Proche-Orient ; or il faut souligner que les juifs algériens sont des autochtones de cette terre et qu'ils ont aussi une histoire dans notre pays, qu'on le veuille ou non, tout comme les descendants de l'Andalousie ! Il est de notre devoir de sauvegarder ce patrimoine identitaire et culturel qui fait partie intégrante du nôtre. Dire que notre société est tolérante me semble être un canular.
En effet, comment expliquer que des jeunes ne respectant pas la pratique du Ramadhan se soient retrouvés au commissariat pour non respect du culte ! Comment expliquer que durant ce même mois, des Algériens se soient vu interdits d'être servis dans des grands hôtels ? Comment explique-t-on la fermeture des bars et des lieux de plaisances ? Comment explique-t-on le fait que les femmes ne portant pas le voile ou qui vivent seules(4) soient harcelées dans certains villes et quartiers algériens ? La société algérienne est tolérante, oui, mais à condition que tous les algériens soient de la même religion et qu'ils parlent tous la même langue.
Heureusement que tous mes compatriotes ne partagent pas cette vision, cependant, leur nombre décroît constamment. La question de l'autocensure est un phénomène qui prend tellement d'ampleur parmi notre élite que chacun en vient à s'imposer des lignes rouges. On ne peut plus critiquer la religion ni même les pratiques traditionnelles, on ne peut plus aborder des questions de société sans être accusé d'occidentaliste, voire même d'ennemi extérieur. Le débat sur la peine de mort n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. Quand Louisa Hanoune, chef du parti des travailleurs, donne son avis sur la question, le chef du MSP ne trouve pas mieux que de lui demander « de se convertir ».(5) Le MSP est, me semble-t-il, un parti politique et non pas une institution religieuse. Le plus grave, c'est que lorsque Mme Hanoune lui demande de choisir entre la politique et la roukia(6), M. Soltani répond qu'elle enfonce « l'Islam et pas seulement lui »(7). C'est, je pense, un glissement sémantique très dangereux !
Cependant, quand il s'agit du voile ou de la barbe pour le passeport biométrique, là M. Soltani évoque le respect des libertés individuelles.(8) Sans commentaire… ! Parler de l'islamophobie, c'est très facile surtout quand on sait que les musulmans possèdent une liberté d'expression à la fois dans les pays occidentaux et dans leurs propres pays. Il y a une exagération dans l'interprétation et également une manipulation médiatique quand il s'agit de l'islamophobie. Comme l'a écrit Mohammed Arkoun(9) : « Cette perversion gagne de larges pans dans toutes les sociétés ; elle conditionne l'interprétation de soi et de l'autre, un soi victimisé et un autre diabolisé à l'extrême dans une dialectique que tant de faits de la vie quotidienne (…) exaspèrent chaque jour. »
Cependant, quand il s'agit de parler des débordements commis à l'encontre des minorités vivant sur notre sol, cela relève souvent, selon eux, de la manipulation des pays occidentaux et c'est considéré comme une ingérence dans les affaires intérieures. Il existe bel et bien ce que je nomme une « occidentophobie », c'est-à-dire un rejet permanent de tout ce qui est issu de la société occidentale, s'accompagnant d'une accusation et d'une diabolisation permanente de cet occident. Pourtant, il ne s'agit ici que d'un échange d'intérêts communs !
Les pays dits occidentaux savent bien ce qu'ils veulent, contrairement à nous qui n'arrivons pas à élaborer un projet de société émanant de notre histoire et qui respecte notre identité millénaire tout en s'enracinant dans les valeurs universelles. Depuis l'indépendance, nos autorités officielles réclament notre appartenance aux valeurs religieuses et linguistiques du Moyen-Orient. Mais en quoi cette appartenance nous a-t-elle été utile ? En quoi est-elle prolifique ? N'est-il pas temps que nous réfléchissions un peu sur l'intérêt de notre propre nation ? Depuis les années quatre-vingt, l'école algérienne enferme nos concitoyens dans l'intolérance et nous récoltons les fruits de ce choix idéologique. Un simple visiteur se rendra compte que notre société est intolérante envers ses citoyens et tous ceux qui pensent différemment. Cette Algérie qui s'enferme sur elle-même est le produit d'un long processus d'idéologisation imposé au nom des valeurs authentiques. Il est temps qu'on s'interroge réellement sur cette notion de « liberté des consciences » dans notre société !
Y. H. : auteur d'un essai L'Algérie en attente, Edilivre, Paris 2009
Note de renvois :
1) Cf El Watan 11 février 2010
2) Cf Liberté 16 février 2010
3) Idem
4) El Watan 11 avril 2010
5) EL Khabar 24 mars 2010
6) A noter que M. Soltani, lui-même, a déclaré dans une émission télé, à l'ENTV, qu'il pratique « la roukia ».
7) El Khabar 23 mars 2010
8) El Khabar du 10 avril 2010
9) La pensée arabe, p. 6 - édition 2008


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