L'indépendance de la justice, revendiquée par le mouvement du 22 février comme un pilier de la nouvelle République, est au cœur de la bataille engagée entre les forces du changement et celles du statu quo. La déclaration du nouveau Syndicat national des magistrats (SNM) est symptomatique de ce face-à-face, qui se joue en partie en coulisses et qui dépendra pour beaucoup des magistrats et de la dynamique qui les anime. L'issue de cette bataille déterminera l'avenir de l'Algérie. Toutes les parties engagées dans le rapport de force actuel en sont conscientes. Personne n'est naïf pour croire que le système judiciaire, qui a produit l'iniquité depuis plus d'un demi-siècle, pourra se transformer par une simple profession de foi. Des magistrats ont, certes, déclaré leur adhésion au hirak et affiché la volonté de juger désormais au nom du peuple, et seulement au nom du peuple, dont ils tirent leur autorité. Cependant, la position du syndicat marque sans ambages la volonté de rupture avec le passé et sera déterminante pour la suite des événements. Le mouvement du 22 février a libéré les juges (à l'exception de ceux qui restent fidèles à l'ancien pouvoir) et contraint le pouvoir politique à reconsidérer ses rapports avec les juges. Mais cette évolution n'est pas irréversible ; elle est même fragile, et sa consolidation demeure tributaire de l'issue du rapport de force. Si l'on examine de près la déclaration du SNM, les magistrats considèrent qu'ils ne sont pas encore à l'abri des pressions. Celles émanant du pouvoir politique, principalement. En réitérant leur refus de recevoir des ordres et l'attachement à leurs droits constitutionnels d'indépendance pour exercer selon les principes de la légitimité, de l'égalité, dans la voie de la neutralité et l'équité, les magistrats du SNM adressent un avertissement aux résidus de l'ancien système. Ceux-là qui refusent de renoncer à leur autorité usurpée et tentent de faire barrage au changement en continuant à soumettre l'appareil de la justice. Le SNM tient l'opinion publique à témoin contre les tentatives d'orientation de l'action judiciaire, notamment dans le timing et la conduite des dossiers ouverts à l'encontre de personnalités, symboles du bouteflikisme. De même, il alerte indirectement contre toute entrave à la révision dans le fond des textes et des structures qui organisent l'exercice de la magistrature, à défaut de quoi l'indépendance de la justice ne serait pas complète, pense-t-il. Ces fronts ouverts par le SNM méritent tout le soutien que peuvent leur apporter les forces du changement. S'il trouve adhésion auprès du peuple, allié objectif de la justice dans sa quête d'indépendance, et s'il trouve écho à l'intérieur des consciences d'une multitude de magistrats, qui hésitent encore au seuil, une considérable victoire serait obtenue contre l'impunité et pour le rétablissement de la confiance. La justice alors passera et sera rendue au nom du peuple.