Ils en sont à leur 13e semaine de marche. Les étudiants assument pleinement leur rôle de force. Après les grèves, les cours ont repris et place aux examens. Rien ne les arrête. Ils cumulent tout : Ramadhan, examens mais surtout hirak. De plus en plus déterminés, ils réfléchissent à la possibilité de marcher aussi le dimanche. «L'année universitaire touche bientôt à sa fin. Je serai donc contrainte de quitter la résidence pour rentrer chez moi à Tizi Ouzou. Mais je serai quand même présente chaque mardi auprès de mes camarades pour continuer notre combat pacifique», promet Yamina, 19 ans, étudiante en 2e année à l'Ecole supérieure de journalisme (ESJ) d'Alger, logée à la cité de jeunes filles de Dély Ibrahim. La jeune fille assure que quand bien même les portes des cités universitaires seront fermées, cela ne stoppera pas le mouvement. Son programme de chaque mardi des vacances : démarrer le matin de Tizi ; rejoindre les étudiants à la marche d'Alger ; passer la nuit chez ses cousines dans la capitale puis rentrer chez elle le lendemain. Comme Yamina, ils sont nombreux à compter adopter le même programme. C'est le cas de Hiba, 18 ans, également étudiante à l'ESJ, résidente à la cité universitaire de Ben Aknoun mais qui vient de Bouira, qui a décidé de partager sa présence entre Bouira et Alger : pour la marche du vendredi, rendez-vous à Bouira ; mais pas de concession pour celle du mardi, elle la fera à Alger. Contrairement à Yamina, Hiba n'a pas de proches à Alger. Elle rentrera donc à Bouira une fois la marche terminée. Une navette hebdomadaire. Car le mouvement estudiantin doit impérativement être adapté au Ramadhan. Exceptionnellement, la durée de la marche a été quelque peu réduite : durant le mois sacré, la marche des étudiants débute à 10h30 et prend fin à 13h30. Ces nouveaux horaires aménagés arrangent les deux jeunes filles, qui sont d'ailleurs les deux représentes des étudiants au niveau de l'Ecole supérieure de journalisme. Alors que beaucoup s'attendaient à ce que leur mouvement s'essouffle avec l'arrivée du Ramadhan, cela n'a visiblement pas été le cas… Au contraire, les étudiants se sont adaptés à ce nouveau rythme et ce, bien que le quotidien ne soit pas rose tous les jours. Calvaire Les journées sont longues et épuisantes pour ces occupants des résidences universitaires qui débutent la journée très tôt. Il est 7h quand ils se lèvent ; juste le temps de se préparer qu'il est déjà temps de rejoindre l'université. Un parcours du combattant qui commence par le transport universitaire. Les cours débutent à 9h pour se terminer vers 15h30. Pour les plus chanceux, le retour se fait à pied car la résidence universitaire est à côté de l'école. Pour les autres, il faut prendre le «COUS». On se passera des détails de cette épreuve ! Entre bousculade, chauffeurs inconscients et bondé de personnes qui ne sont pas forcément des étudiants… c'est un réel calvaire. Une autre journée commence à l'intérieure de la résidence en ce mois de Ramadhan. Pas de pause. Cap sur les préparatifs du ftour. Maria, 20 ans, résidente au campus Djilali Liabes d'Hydra, confie qu'elles sont obligées, pour la plupart, de cuisiner dans les chambre. Pas satisfaites des repas servis au restau U. Certaines n'hésitent pas de témoigner de repas infects : «Le menu est certes varié entre une entrée, généralement une salade, de la chorba, un tadjin hlou, une brick, des dattes, un deuxième plat, du kalb ellouz ou de la zlabia, un jus et un dessert, mais… sans goût», confie-elle. Pour celles qui, malheureusement, n'ont pas de résistance électrique, rendez-vous pris au resto. Les horaires sont fixes : de 17h30 jusqu'à 19h. Le décor est connu : des queues interminables sont constatées devant ses portes. Porte-manger à la main, et… première arrivée, première servie. Très souvent, les étudiantes ne ressortent pas avec leur repas complet. Celles qui n'arrivent pas tôt, elles n'auront pas droit au bourek par exemple ou au second plat. D'ailleurs, comme beaucoup d'autres étudiantes de la résidence universitaire des filles à Dély Ibrahim, elle sont restées sans ftour le premier jour du Ramadhan car le nombre de repas été insuffisant pour satisfaire la demande. Ses amies étaient là pour le partage. Après le ftour, vient le moment de la vaisselle et du nettoyage. La tâche est plus compliquée poour les étudiants qui se débrouillent mal en cuisine. Et la soirée commence : révisions et préparatifs de leurs examens. Pas le temps de se reposer. Pour certains étudiants, c'est direction la bibliothèque à l'intérieur de la résidence, où il est possible de travailler dans une atmosphère silencieuse. D'autres aiment allier grignotage et révisions. Et puis, il y a celles qui préfèrent l'intimité de la chambre. Des journée chargées, lourdes mais assumées. Hiba : «On essaye de trouver un juste milieu et un équilibre entre manifestations estudiantines, préparation du ftour, révisions et examens. Il y va de l'avenir de notre pays et c'est notre motivation première afin de ne rien lâcher.» Coordination En plus de toutes ces tâches, la jeune fille doit également remplir son rôle de représentante des étudiants ! A cet effet, Yamina précise : «Dans chaque université, deux représentants volontaires et consensuels sont élus afin d'organiser le mouvement estudiantin, porter la voix des camarades et faciliter la diffusion de l'information.» Il est à noter qu'il existe également un groupe qui assure la coordination entre les étudiants des différentes facultés et écoles supérieures. Chaque lundi, à la veille de la marche, le groupe de coordination dont Yamina fait partie s'entend avec le reste des étudiants, sur le lieu du regroupement, l'heure du rassemblement et l'itinéraire à parcourir. Des détails précis à prendre en considération. Et c'est via les réseaux sociaux que les informations sont relayées afin que le plus grand nombre soit au courant. Les filles, Hiba et Maria, se chargent de la confection des banderoles et pancartes pour le jour J. Rien n'est laissé au hasard. Tout est réfléchi, étudié mais surtout concerté. Ils sont connectés, collés à l'actualité. Tout est suivi de près. Ils sont simplement dans leur rôle. Ils sont une force. Les écriteaux suivent le contexte. Pour cela, les filles sont constamment au courant de l'actualité. Elles ne doivent rater aucune information. Elles veulent «taper dans le mille». A titre d'exemple, les slogans les plus scandés mardi dernier étaient une réponse au discours de Ahmed Gaïd Salah, prononcé la veille depuis Ouargla, qui a fait savoir qu'il était favorable a la tenue d'une élection dans les plus brefs délais : «Makach intikhabate ya el isabate» (pas d'élection avec la bande) ; «Ytnahaw ga3 !», «Etat civil pas militaire». Une chose est certaine : la mobilisation ne faiblit pas. Nous avons assisté à l'élaboration du nouveau slogan «maranach habsine» (nous n'allons pas arrêter) par un jeune étudiante. Et afin d'exercer plus de pression sur le pouvoir en place, les étudiants comptent sortir le dimanche en plus des mardis habituels. D'ailleurs, nombreux sont ceux qui commencent d'ores et déjà a aménager leurs programmes de vacances en fonction du mouvement populaire jusqu'à ce qu'ils «dégagent tous»...