Le Conseil constitutionnel a officialisé, hier, l'annulation de l'élection présidentielle du 4 juillet prochain. Il a, en même temps, «prolongé» le mandat de l'actuel chef de l'Etat par intérim, Abdelkader Bensalah, «jusqu'à l'élection du président de la République». Une autre victoire pour le hirak dont la mobilisation, sans faille depuis plus de 3 mois, interpelle les autorités du pays sur la nécessité de trouver des solutions politiques à la hauteur des exigences populaires. Une autre victoire pour le hirak. Même si, dans la foulée de cet acquis, le Conseil constitutionnel a «autorisé» Bensalah à rester en poste jusqu'à l'élection du nouveu président de la République. Ainsi, l'instance que préside Kamel Feniche a rejeté hier les dossiers des deux candidats, Abdelhakim Hamadi et Hamid Touahri (leurs noms n'ont même pas été cités dans le communiqué en question), les seuls qui ont été déposés à son niveau. «Le Conseil constitutionnel, réuni les 26 et 29 mai et 1er juin 2019, à l'effet de délibérer sur les dossiers de candidature pour l'élection du président de la République prévue le 4 juillet 2019, s'est prononcé par le rejet des deux dossiers de candidature déposés auprès de lui, en vertu de deux décisions individuelles n° 18/D.CC/19 et n° 19/D.CC/19, datées du 1er juin 2019», indique le Conseil dans son communiqué. A cet effet, il déclare «l'impossibilité de tenir l'élection présidentielle le 4 juillet 2019, et la réorganisation de celle-ci de nouveau». Et c'est là que le Conseil constitutionnel a annoncé le prolongement du mandat du chef de l'Etat, Abdelkader Bensalah, en donnant une interprétation de certains articles de la Constitution qui ne fait pas consensus. Il est fait référence dans ce communiqué au 12e paragraphe du préambule ainsi que les articles 7, 8, 102 alinéa 6, 182 et 193 de la Loi fondamentale du pays. Le Conseil constitutionnel a estimé que «dès lors que la Constitution prévoit que la mission essentielle dévolue à celui investi de la charge de chef de l'Etat est d'organiser l'élection du président de la République, il y a lieu de réunir les conditions adéquates pour l'organisation de cette élection dans la transparence et la neutralité en vue de préserver les institutions constitutionnelles, qui concourent à la réalisation des aspirations du peuple souverain». Ainsi, «il revient au chef de l'Etat de convoquer de nouveau le corps électoral et de parachever le processus électoral jusqu'à l'élection du président de la République et la prestation du serment constitutionnel». En d'autres termes, le chef de l'Etat par intérim, et malgré le revers qu'il a essuyé pour ce qui est de l'organisation de la présidentielle du 4 juillet, sera maintenu à contresens de la volonté populaire et surtout de la légalité constitutionnelle, alors que son mandat devait se terminer le 9 juillet prochain, mettant ainsi de facto le pays face à un certain «vide constitutionnel». «C'est une victoire importante mais elle n'est pas définitive, car le pouvoir va malheureusement continuer à imposer sa feuille de route avec un autre probable report de ces élections avec les mêmes mécanismes et symboles de ce système rejetés par le peuple, alors que la Constitution algérienne n'a pas prévu cette situation inédite en Algérie», a déclaré à ce propos Abdelwahab Fersaoui, président de RAJ, avant d'ajouter : «Le pouvoir doit se rendre compte que l'élection présidentielle n'est pas une fin en soi et ne constitue pas une solution à la crise politique que vit l'Algérie». D'après lui, «la période de transition démocratique est inéluctable». De son côté, et tout en considérant que «ce recul significatif des décideurs est la consécration de plusieurs semaines de mobilisation et de détermination populaires», le Front des forces socialistes (FFS) a tenu à dénoncer la «tentation du pouvoir à gagner plus de temps» en prolongeant le mandat de Bensalah. Par ailleurs, certains spécialistes ont carrément remis en cause l'interprétation de ces articles de la Constitution donnée par le Conseil constitutionnel. L'universitaire Rachid Zouaïmia a évoqué une «interprétation des textes juridiques en dehors de leur contexte global». Pour lui, «si les élections ne peuvent être organisées le 4 juillet 2019, ce n'est pas en raison de circonstances imprévisibles et irrésistibles», c'est parce que «le peuple refuse cette élection, non pas pour le plaisir de rejeter la présidentielle mais essentiellement parce que le chef de l'Etat comme le Premier ministre et son gouvernement sont rejetés de la manière la plus explicite en ce qu'ils ne peuvent garantir des élections transparentes sans fraude». «Le chef de l'Etat a échoué dans l'organisation des élections du 4 juillet. Son mandat est ainsi arrivé à terme aujourd'hui (hier, ndlr) et nul besoin qu'il continue d'exercer cette charge jusqu'au mois de juillet. Si la même charge lui est confiée de nouveau, il est clair que les mêmes causes entraîneront les mêmes effets», a-t-il estimé. Il faut dire que l'élection présidentielle du 4 juillet était vouée à l'échec dès sa programmation. Sortis par millions dans les rues des différentes villes du pays pour réclamer le changement du système, les citoyens se sont heurtés à un pouvoir qui s'entête à n'envisager qu'une application stricte de l'article 102 de la Constitution. Ainsi, le jour de son investiture, le 9 avril dernier, Abdelkader Bensalah, cadre du RND, ancien président de l'APN puis du Sénat sous Bouteflika, a convoqué le corps électoral. Mais le processus a été fortement contesté et les Algériens ont unanimement rejeté une élection organisée par les symboles de l'ancien régime et avec les mêmes conditions. Au fil des semaines, il devenait de plus en plus clair que le rendez-vous du 4 juillet ne pouvait se tenir, même si, lors de chacune de ses interventions, le chef d'état-major de l'ANP, Ahmed Gaïd Salah, insistait sur le respect de la «voie constitutionnelle». Celui-ci ne pouvait-il pas s'apercevoir que l'élection du 4 juillet était compromise à l'avance ? Le pays n'a-t-il pas perdu tout ce temps-là pour rien ? Aujourd'hui encore, le pouvoir en place semble vouloir gagner encore plus de temps misant, peut-être, sur l'affaiblissement du mouvement populaire durant l'été afin d'imposer sa feuille de route. Mais, si l'élection est seulement retardée de deux ou trois mois, sans projet pour des réformes profondes du fonctionnement de l'Etat, le pays ne risque-t-il pas de se retrouver dans la même situation une nouvelle fois ? Les Algériens accepteront-ils demain ce qu'ils ont rejeté aujourd'hui ? Il est clair qu'avec les mêmes conditions, la présidentielle subira le même sort. Et le pays aura perdu, dans deux ou trois mois, encore plus de temps, avec tous les risques que cela pourrait impliquer. Lors de son dernier discours, dans lequel il a appelé au dialogue, le chef d'état-major de l'ANP avait évoqué des «concessions réciproques». La première concession que le pouvoir devrait peut-être faire pour prouver sa bonne foi est de se séparer de Bensalah. Dans le cas contraire, il est peu probable que les Algériens, hormis les soutiens traditionnels du système, puissent accepter de s'engager dans ce dialogue mené par ces symboles de l'ancien régime.