La Chambre basse du Parlement espagnol a suspendu les députés indépendantistes catalans élus lors des dernières législatives d'avril, qui se sont vu refuser l'entrée au Parlement européen. Ces élus en détention provisoire, une première en Espagne, étaient sortis brièvement de prison pour prêter serment. C'est une permission «exceptionnelle» qui leur a été accordée par la Cour suprême. Emprisonnés depuis un an, Oriol Junqueras, Jordi Sanchez, Jordi Turull, Josep Rull et Raül Romeva, élus députés ou sénateurs lors des élections régionales du 28 avril, ont été autorisés à quitter quelques heures la prison pour prêter serment lors de la session inaugurale du Parlement espagnol. «Le bureau de la chambre des députés les déclare automatiquement suspendus de l'exercice de leur mandat», a annoncé la présidente socialiste de la chambre, Meritxell Batet, après avoir consulté les juristes de l'institution. Elle a précisé ensuite leur avoir demandé un nouveau rapport sur le seuil de majorité. Du côté des indépendantistes de Junts per Cataluña, Laura Borras dénonce : «Le vote des citoyens a fait de nos compagnons des députés du Congrès, mais l'architecture juridico-institutionnelle de l'Etat espagnol s'est chargée de les écarter.» Cette suspension pourrait avoir de lourdes conséquences politiques pour le chef du gouvernement socialiste sortant Pedro Sanchez, vainqueur des élections de fin avril mais sans majorité absolue. Si le nombre de députés en fonction est réduit et le seuil de majorité absolue abaissé suite à cette suspension, la reconduction au pouvoir de Pedro Sanchez lors d'un vote d'investiture prévu a priori début juillet serait facilité car il n'aurait pas besoin de l'appui ou de l'abstention des séparatistes catalans. En revanche, si les députés suspendus peuvent céder leur siège à leur suppléant, Pedro Sanchez aura de nouveau besoin de leur concours pour être investi. Les quatre députés sont accusés de rébellion pour avoir organisé un référendum d'autodétermination en dépit de son interdiction par la justice, avant l'éphémère déclaration d'indépendance d'une des régions les plus riches d'Espagne en octobre 2017. Les avocats estiment que les députés indépendantistes, jugés devant la Cour suprême et en détention provisoire pendant la durée du procès, ne peuvent exercer leurs fonctions de parlementaires conformément aux dispositions de l'article 384 bis du droit de procédure pénale. Interdits d'accès au parlement européen Les eurodéputés espagnols se sont vu attribuer leur accréditation au Parlement européen, à l'exception de deux d'entre eux : les indépendantistes catalans Carles Puigdemont et Toni Comin qui ont fui en Belgique. «Carles Puigdemont et Toni Comin se sont vu refuser l'entrée du Parlement et la possibilité de s'accréditer temporairement, au motif que le Parlement ne disposait pas encore de la liste officielle des élus espagnols», a expliqué Paul Bekaert, l'un des avocats de Carles Puigdemont. Et d'ajouter : «Si le Parlement européen se laisse influencer par un Etat membre pour interdire qu'un député puisse y siéger, nous irons devant la Cour de justice européenne.» Ancien président régional catalan, Carles Puigdemont, qui s'est établi en Belgique pour échapper aux poursuites judiciaires en Espagne, était tête de la liste des indépendantistes «Libres pour l'Europe» et a obtenu deux sièges au Parlement européen. «Ils nous ont suspendu en Espagne, mais ils ne pourront pas le faire en Europe !» a écrit Puigdemont sur Twitter. Quoi qu'il en soit, le camp indépendantiste a réussi son pari : amener le conflit catalan au cœur des institutions européennes. Oriol Junqueras, vice-président du gouvernement catalan et chef du parti Gauche républicaine catalane (ERC), destitué après la tentative de sécession et principal accusé du procès actuellement en cours contre les indépendantistes, a été élu député national et député européen. Il risque de ne jamais occuper aucun de ces deux sièges s'il est condamné. Le parquet requiert contre lui 25 ans de prison. Selon des sources parlementaires espagnoles, son élection ne devrait toutefois être validée qu'après sa prestation de serment en personne devant la Commission électorale espagnole. Or, il serait immédiatement arrêté s'il rentrait en Espagne. Selon sa défense, cette prestation n'est absolument pas prévue par la législation européenne et elle est contraire aux règles du Parlement européen. M. Puigdemont affirme aussi pouvoir disposer de l'immunité parlementaire dès son élection.