L'Histoire qui s'écrira un jour ne manquera pas de dire que la crise de régime que vit l'Algérie a commencé avec le défi du 5e mandat lancé au peuple algérien. Celui-ci n'a pas courbé l'échine devant la provocation. Il n'a pas tourné le dos à l'épreuve de volonté à laquelle un pouvoir politique nourri d'arrogance, d'insolence et de mépris entendait le soumettre. Le peuple algérien a relevé le défi, répondu à la provocation et remporté l'épreuve de volonté dans laquelle il a eu le dernier mot. Le régime politique en place s'est posé comme horizon indépassable ; il a cru dur comme fer qu'il avait l'éternité pour lui ; il s'est convaincu, qu'à jamais, aucune dernière heure ne sonnerait pour lui. Le peuple algérien en a décidé autrement en exigeant qu'il soit démantelé, pan après pan, et que rien ne lui survive pour rappeler tous les torts qu'il a causé à la Nation et qui ne se comptent plus ainsi que tous les crimes qu'il a commis contre elle et sur lesquels il est difficile d'apposer un nom. Ainsi née, la crise de régime entamera bientôt son sixième mois. Il est parfaitement erroné de prétendre qu'un semestre c'est peu et que cela ne compte pas dans les longs parcours des nations. Par temps de grave crise chaque jour, chaque semaine et chaque mois qui passent pèsent plus que d'ordinaire. L'Algérie n'a pas le temps pour elle et c'est une évidence. Aujourd'hui, cinq mois après que la crise de régime ait produit ses premiers effets, chacun d'entre nous peut constater avec beaucoup de regret et de frustration que les solutions qui étaient à portée de main se sont éloignées et que celles disponibles actuellement ont gagné en difficulté, en complication et en complexité. C'est le propre des crises qui durent de multiplier les défis dans leur sillage. C'est leur particularité de transformer les chemins praticables de leur solution en chemins impraticables en raison de l'accumulation d'obstacles nouveaux que le temps génère dans son passage. Et c'est leur caractéristique de prendre d'autres dimensions qu'elles n'avaient pas à l'origine. C'est de tout cela dont nous sommes témoins aujourd'hui et c'est en cela que se posent les défis les plus grands que notre pays se doit de relever. Les crises politiques sont les mères de toutes les autres crises. Dans notre pays, la crise demeure essentiellement politique. Mais elle a incontestablement le pouvoir d'agir en facteur déclenchant sur d'autres crises latentes ou potentielles de nature économique et sociale. C'est là que réside sans conteste le danger le plus grave et le plus imminent qui menace notre pays. Le règlement de la crise politique n'est pas seulement vital en soi ; il l'est aussi pour prémunir notre pays contre une entrée inévitable dans l'engrenage de la crise économique et sociale dont tous les mécanismes se mettent inexorablement en place. La crise politique actuelle du fait de l'instabilité et l'incertitude qui l'entourent, n'est pas ce qu'il y a de mieux pour faire face à la crise économique et sociale qui s'annonce. Un Exécutif, dépourvu de légitimité et de crédibilité, n'est pas le meilleur rempart à lui opposer. Une crise politique qui occupe tout l'espace et focalise sur elle toutes les attentions empêche de voir l'horizon économique et social qui s'assombrit et les présages d'autres temps tourmentés qui s'y multiplient jour après jour. Le scénario cauchemar pour notre pays résiderait dans une convergence des crises politique, économique et sociale dont les effets cumulatifs le feraient entrer en territoire inconnu et le mettraient face à des épreuves d'une tout autre complexité et d'une tout autre envergure qu'il devra affronter en position de faiblesse et dans les conditions les moins favorables. L'héritage économique de l'ancien régime politique est un champ de ruines. Le haut niveau de dépendance de l'économie nationale à l'égard des hydrocarbures n'a pas bougé d'un iota. La diversification économique a certes produit des slogans sans substance et sans consistance, mais elle a failli à donner quelque souffle que ce soit aux exportations hors hydrocarbures. Bien plus grave que son échec stratégique à transformer une économie rentière en économie productive, le crime impardonnable de l'ancien régime politique est d'avoir, tout au contraire, organisé de manière méthodique et systémique la mise à sac de la rente elle-même. Les équilibres macro-économiques que l'embellie financière exceptionnelle des années 2006-2014 faisait apparaître artificiellement comme parfaitement sains commencent à se détériorer les uns après les autres. Ces fameux équilibres macro- économiques conjoncturels dont le régime politique tirait une vaine gloriole n'ont jamais été le produit d'une économie productive flamboyante ; jusqu'à sa fin survenue à la mi-juin 2014, c'est un renchérissement sans précédent des cours pétroliers qui les maintenait sous stéroïdes avant leur effondrement comme un château de cartes. Comme subitement atteint de nanisme, le secteur industriel s'est rétréci jusqu'aux limites de l'insignifiance dans la création de la richesse nationale. Dans le secteur agricole, les scandales ont battu des records qui surclassent ceux du développement, de la croissance et de la production. Le secteur bancaire qui avait déjà toutes les peines du monde à se moderniser a atteint les sommets de la décrépitude lorsqu'il a été livré pieds et poings liés aux prédations de toutes sortes. La monnaie nationale s'est érodée de façon continue parce qu'une gouvernance qui s'est révélée en dessous de tout n'a jamais eu dans ses plans de l'adosser à une dynamique soutenue de création de richesses. Tout un système bâti autour du crime national organisé s'est substitué à l'Etat austère, garant de l'intérêt général et comptable des deniers publics. La liste des ravages économiques attribuables à l'ancien régime politique est autrement plus longue que ce qui vient d'en être esquissé à grands traits que seules des guerres en bonne et due forme peuvent provoquer. Mais cela suffit pour prétendre, sans verser dans l'excès, qu'au vu d'une telle dévastation économique, le seul fait de remettre à l'endroit ce qui a été mis à l'envers par le pouvoir déchu représenterait indubitablement la réforme structurelle la plus marquante et la plus déterminante. Même sans la crise politique, ce désastre économique aurait constitué un héritage bien lourd à porter pour la Nation. Avec la crise politique, il en va autrement et il se confirme chaque jour que cet héritage à solder devient de plus en plus lourd pour elle. Comme tout autre désastre national, le désastre économique dont le pays a hérité exige un plan Orsec de son ampleur et à son échelle. Or, aucun plan de ce genre n'est à l'ordre du jour comme s'il n'y avait absolument rien à signaler et rien à redouter sur les fronts économique et social. Et pourtant, c'est sur ces fronts là que les menaces couvent et les périls grondent. Les crises politiques se résolvent et se résorbent aussitôt qu'un accord est conclu. Les solutions aux crises économiques et sociales, pour leur part, sont de grosses consommatrices de temps, d'efforts, d'ingéniosité et de moyens. Dans la prise en charge des crises de cette nature, l'échec est synonyme de temps perdu ou d'occasions manquées. De ce point de vue-là, cette année 2019 s'annonce déjà comme une année blanche dans la préparation du pays à la crise économique et à la crise sociale qui pointent à l'horizon. S'agissant de ces crises, tous les voyants sont déjà au rouge écarlate pour qui veut bien leur prêter attention. La situation d'instabilité, d'imprévisibilité et d'incertitude politiques a un impact direct sur la sphère économique et sociale, déjà très mal en point. La croissance est en berne. L'emploi est en recul. Le pouvoir d'achat subit de plein fouet le double assaut de l'inflation et de l'érosion de la valeur de la monnaie nationale. L'investissement public s'opère au compte-gouttes. L'investissement national privé ne sait où donner de la tête. L'investissement direct étranger aussi modeste soit-il est dans l'expectative. Tétanisé par la campagne en cours contre la grande criminalité politique, économique et financière, le système bancaire a donné un coup d'arrêt brutal au financement de l'économie. La gestion du commerce extérieur est dans la navigation à vue. Les réserves de change fondent comme neige au soleil. Les déficits publics se creusent et atteignent des niveaux inquiétants. Voilà en quelques images l'état économique et social du pays qui se dévoile à nos yeux. Dans cet état, il faut bien l'admettre, il n'y a rien d'apaisant ou de rassurant. Toutes les situations auxquelles est actuellement confronté notre pays au plan politique comme aux plans économique et social sont des situations d'urgence absolue. Mais même dans ces situations d'urgence absolue, il y a des gradations et tout en haut de l'échelle il y a la crise politique dont le règlement impératif et prioritaire conditionne tout le reste. En effet, c'est avec le règlement de cette crise politique que s'ouvriront les perspectives, que se dégagera le chemin et que s'offriront véritablement les conditions de la prise en charge et du traitement de la crise économique et sociale. Une fois la crise politique surmontée et dépassée, l'on réalisera très vite que le plus dur reste à faire. Il y a bien sûr la transition démocratique à conduire, le nouveau régime politique dont il faudra poser les fondements et l'encadrement constitutionnel approprié dont il faudra le doter. Tout comme il y a un nouveau régime politique à inventer, il y a un nouveau modèle économique à bâtir et un nouveau modèle social à repenser comme destinataire ultime des bienfaits de la transformation politique et de la modernisation économique. C'est en cela que résident le sens et la raison d'être du nouveau pacte national dont le pays a besoin.