– Des dizaines d'arrestations au sein du mouvement populaire et des poursuites contre les activistes sont opérées chaque jour. Que cherche-t-on à travers ces opérations ? Il devient clair que le pouvoir est agacé par la poursuite de la mobilisation pacifique à travers tout le pays et spécialement à Alger, son centre de décision. Cette mobilisation reste intacte, alors même que le pouvoir tente par tous les moyens de l'affaiblir. Les discours menaçants du chef d'état-major, la «caporalisation» des médias audiovisuels privés et étatiques ou encore la mobilisation des «doubab électroniques» visent tous à reprendre la rue au hirak, dans la perspective de faire passer la feuille de route déjà arrêtée au sein du pouvoir. Il ne faut pas oublier qu'Alger était interdite aux manifestations pacifiques depuis 2001. – Le pouvoir et le premier responsable de l'institution militaire enclenchent ce type de procédures au moment où l'on appelle à l'avènement d'un Etat de droit et démocratique. Pourquoi ? Quel message veulent-ils faire passer ? Depuis le début, le pouvoir a refusé d'engager un vrai dialogue national sur les modalités de la transition politique. Pour lui, il y a une crise et c'est le hirak qui en est responsable, alors que nous savons tous que celui-ci est la résultante d'une impasse systémique, générée par la structure et les pratiques mêmes du système mis en place depuis 1962. Donc, à mon avis, par ces arrestations, le pouvoir veut matérialiser en quelque sorte la responsabilité du hirak dans la crise. En clair, il lui faut des coupables. D'autres lectures considèrent qu'à travers ces arrestations, le pouvoir disposerait d'éléments de négociation. – En tant que responsable de la Ligue des droits de l'homme, comment qualifiez-vous cet état de fait et quelle est la place des droits de l'homme en Algérie, notamment en cette conjoncture actuelle ? Durant ces quelques mois, la situation des droits de l'homme s'est sensiblement détériorée, car, en plus des arrestations durant les manifestations et les poursuites contre des responsables politiques et autres figures actives du mouvement, il y a des dizaines d'autres poursuites contre des activistes anonymes sur la base de publications sur les réseaux sociaux, des intimidations sans aucune référence procédurale nous sont régulièrement signalées. Ajoutez à cela la banalisation d'un discours haineux et clivant sur les réseaux sociaux et même à la télévision, sans que les autorités n'interviennent. En matière de poursuites judiciaires, les avocats de la défense contestent des dysfonctionnements dans certaines procédures et le bien-fondé, au regard de la loi, de la poursuite en elle-même. Le cas des drapeaux amazighs en est la parfaite illustration. Il est regrettable d'attribuer un rôle répressif à la justice, notamment lorsqu'il s'agit d'atteinte aux droits fondamentaux des citoyens. – Faut-il s'attendre à d'autres arrestations ? Il n'y a aucun signe de détente de la part du pouvoir, qui veut imposer sa vision par la force en instrumentalisant les institutions de l'Etat. Le respect des droits de l'homme n'est visiblement pas au centre de ses préoccupations, alors même que l'Etat algérien s'est engagé à le faire à travers la ratification de nombre de conventions internationales et que la Constitution algérienne l'oblige à le faire. – Que faut-il faire face à ce climat de terreur et de répression ? Il faut rester vigilant et pacifique et continuer collectivement à porter les revendications du changement exprimées par le mouvement du 22 Février. Pour nous, défenseurs des droits de l'homme, nous devons faire un monitoring des violations des droits de l'homme, pour saisir les instances onusiennes (comités des droits de l'homme, rapporteurs spéciaux…) quand cela devient nécessaire et permettra de préserver les droits fondamentaux des individus. Les avocats de la défense ont aussi un rôle très important à jouer, pour faire valoir le droit au-delà de toute autre considération. Beaucoup d'entre eux le font avec constance et détermination. – Le corps électoral vient d'être convoqué et la date des élections arrêtée. A votre avis, ce scrutin aura-t-il lieu comme prévu ? Il est difficile d'apporter une affirmation à ce sujet, mais en tant que défenseur des droits de l'homme, j'exprime mon inquiétude sur le coût et les conséquences en matière de régression des droits de l'homme qu'implique une telle décision. Une décision qui reflète un déni de réalité manifeste et une volonté de maintenir le système contre la marche de l'histoire.