L'arrestation de Karim Tabbou, le lendemain de sa mise en liberté conditionnelle, laisse perplexe et inquiète lourdement. Arrêté chez lui par des individus en civil sans en connaître les motifs, il a été conduit vers une destination inconnue, privé de son droit d'en informer sa famille avant d'être présenté en fin de journée devant le tribunal de Sidi M'hamed, qui l'a placé sous mandat de dépôt. Le cas Tabbou n'est pas isolé. Arrestations musclées, gardes-à-vue en violation de la loi et mises en détention systématiques des manifestants et militants politiques augurent de sombres jours pour l'Algérie et sa révolution. Moins de 24 heures après sa mise en liberté conditionnelle par le tribunal de Koléa, Karim Tabbou se fait embarquer jeudi matin par «des individus en civil qui se sont présentés comme étant des policiers», puis conduit à bord de leur véhicule vers une destination inconnue. Durant 24 heures, aucun de ses avocats n'a pu identifier ceux qui ont procédé à cette arrestation, ni être informé du lieu vers où il a été dirigé. Ce n'est qu'au milieu de la journée de vendredi et après avoir fait le tour des tribunaux, que Me Mustapha Bouchachi a pu avoir l'information de sa présentation devant le tribunal de Sidi M'hamed, jeudi en fin de journée, et son placement en détention à El Harrach. Pour l'instant, ni la famille ni les avocats ne connaissent les raisons de cette deuxième incarcération. Ce qui est en violation totale avec les dispositions du code de procédure pénale, qui garantissent le droit des citoyens, lorsqu'ils sont arrêtés par les services de sécurité, d'informer leur famille ou leurs avocats. Le cas Karim Tabbou n'est malheureusement pas isolé. Plusieurs militants politiques ont fait l'objet des mêmes pratiques que l'on croyait révolues. D'abord Lakhdar Bouregaâ, cet ancien officier et héros de la Guerre de Libération nationale, âgé de 86 ans, membre actif du mouvement de protestation populaire, arrêté le 29 juin dernier dans des conditions aussi troublantes que condamnables. Il était chez lui, parmi les membres de sa famille, lorsque des individus en civil l'ont emmené, sans lui laisser le temps de se changer, vers une destination inconnue. Personne, même pas les membres de sa famille, n'a été informé des motifs et de l'endroit où cet homme au passé révolutionnaire a été dirigé, jusqu'à ce qu'il soit présenté au parquet de Sidi M'hamed puis incarcéré à El Harrach. Il y a quelques jours, le 16 septembre, c'était au tour d'un autre activiste, Samir Belarbi, de faire l'objet d'une arrestation musclée dans la rue, à quelques encablures de sa maison à Bouzaréah. Ce n'est que 24 heures plus tard qu'il a été déféré devant le parquet de Bir Mourad Raïs, qui l'a placé sous mandat de dépôt. Son avocat, Me Badi, parle de «kidnapping sur la voie publique, opéré par des personnes qui se sont présentées comme étant des agents des services de sécurité pour l'emmener vers une destination inconnue». Les deux amis de Belarbi, qui avaient assisté à l'arrestation, affirment que ce dernier était dans sa voiture «lorsque deux véhicules banalisés qui le suivaient lui ont barré la route. Les occupants sont descendus et lui ont ordonné de les suivre. Ils l'ont emmené vers une destination inconnue». A ce jour, Belarbi croupit à la prison d'El Harrach. Après les arrestations de dizaines de porteurs de l'emblème amazigh, c'est au tour des activistes de la contestation populaire d'être la cible des services de sécurité. Le 18 septembre, le journaliste Fodil Boumala a été surpris comme un vulgaire délinquant au bas de son domicile, vers 20h30, par des agents en civil qui l'ont présenté le lendemain devant le tribunal de Dar El Beïda, lequel l'a placé en détention. Pour les militants des droits de l'homme, au fur et à mesure que la date du 12 décembre, prévue pour l'élection présidentielle, se rapproche, le nombre d'arrestations de manifestants et de militants politiques se multiplie. Chaque vendredi, de nombreux manifestants sont interpellés par les services de sécurité, souvent happés loin de la foule, sans aucune raison, et bon nombre d'entre eux sont placés sous mandat de dépôt pour «attroupement non autorisé», alors que des millions d'Algériens battent le pavé chaque vendredi sans demander la permission de l'administration. Parallèlement à ces mesures arbitraires, les médias lourds aussi bien publics que privés sont soumis au chantage et à la censure pour éviter toute critique à l'égard des tenants du pouvoir. Ces tentatives de mainmise sur la parole ont pour but d'arrêter la marche historique vers la IIe République à travers les pratiques de terreur que l'on pensait révolues. Comment peut-on arrêter des citoyens en dehors des heures prévues par la loi (entre 7h et 20h), les maintenir en garde-à-vue sans que leurs familles ne soient informées et les déférer devant les tribunaux sans la présence de leurs avocats, puis les mettre systématiquement sous mandat de dépôt ? L'Algérie semble glisser de plus en plus vers un Etat de non-droit. La situation inquiète à plus d'un titre…