C'est l'été. Le mois de l'évasion et des grandes vadrouilles. C'est surtout un mois béni pour quantité de petits métiers qui vivent du trafic routier, à l'image de tous ces bouibouis et autres commerces de circonstance qui longent la route : cafés, rôtisseries, magasins de poteries et autres produits du terroir, alimentation générale, petits vendeurs de fruits de saison, vulcanisateurs, bouchers proposant des carcasses de viande fraîche, kiosques à journaux, pharmaciens, taxiphones, vendeurs de tabac... bref, tout ce petit monde y trouvait son bonheur. Seulement voilà. Depuis la mise en service de la nouvelle autoroute, c'est la mort subite pour une pléthore de ces commerces qui fleurissaient au bord des anciennes routes nationales. Des milliers de petits boulots menacés H'madna, petite localité située à environ 140 km d'Oran, dans la wilaya de Relizane. Cette ville « routière » est surtout connue pour la qualité de ses grillades. Un fait attire d'emblée l'attention du visiteur : plusieurs commerces y ont baissé rideau, notamment les restaurants et ceux qui sont encore de service ont petite mine. Exit les ambiances gargantuesques des années où ils carburaient à plein régime, où les automobilistes, les taxis longs trajets, les bus et autres camionneurs se bousculaient au portillon de ces chouayine aux effluves savoureuses. Djilali est propriétaire d'une de ces rôtisseries. A notre passage, ses tables étaient désertes. Zéro client. « El hala rahi miyta », se plaint-il. « La situation est très difficile. L'autoroute a signé notre arrêt de mort. Deux ou trois jours à peine après sa mise en service, nous avons tout de suite senti la différence en termes d'affluence. La clientèle a baissé net, si bien que, quelques mois après, comme vous pouvez le constater, plusieurs commerces et restaurants ont fermé. Moi-même, je ne vais pas tarder à mettre la clé sous le paillasson », dit Djilali. Et de nous montrer son présentoir lugubre au contenu peu attrayant. « Je n'ai que ça à proposer aux clients : des salades et des omelettes. On ne fait plus les viandes, de peur qu'elles s'altèrent inutilement », reprend-il. Djilali nous confie qu'il a dû congédier ses quatre employés faute de rentabilité. « Et c'est partout pareil sur cet axe. Des dizaines d'emplois sont partis comme ça. » Ainsi, au moment où dans sa com', Amar Ghoul insiste beaucoup sur le volet emploi en assurant que le « projet du siècle » a généré quelque 100 000 emplois durant la phase travaux et un nombre incalculable d'emplois indirects, force est de constater que cela a fait perdre leur job à quelques centaines, voire quelques milliers de personnes, si l'on compte toutes les villes de l'ancien itinéraire qui sont largement dépendantes du trafic routier et qui, de Tlemcen à El Tarf, périclitent à vue d'œil. Autant dire que c'est carrément la structure de l'économie de ces villes qui s'en est trouvée chamboulée. « Même les routiers ne s'arrêtent plus comme avant. Les patrons des sociétés de transport obligent leurs chauffeurs à économiser du temps pour rentabiliser leur flotte », souligne Djilali. Les seuls rescapés de la clientèle traditionnelle sont peut-être les « taxieurs », encore que même eux sont de moins en moins chauds à faire une pause-déjeuner, surtout que l'accès à ces zones de restauration est souvent compliqué et oblige à faire des détours laborieux. Les relais routiers, un autre marché juteux Pour notre part, notre pause-déjeuner, nous l'avons effectuée dans un restaurant nommé Essalam, situé à la lisière de Oued Fodda, à une quarantaine de kilomètres de la ville de Chlef. Comme ses « homologues » de H'madna, le resto Essalam vit une situation délicate. La salle principale, bien que climatisée et fort bien achalandée, est quasi déserte. Le serveur « historique » ne se souvient pas avoir connu plus triste péripétie. « Avant, les gens se bousculaient pour avoir une table chez nous. A midi, le resto affichait souvent complet. Plus maintenant ! L'activité a nettement baissé », dit-il. Comme d'autres commerçants avec lesquels nous avons discuté, ce qui inquiète notre restaurateur, c'est le partage du gâteau une fois opérationnels les relais tant promis. A Merdja Sidi Abed, une station-service arbore le même spectacle désolant. Hormis la pompe à essence et une salle de prière adjacente, tous les commerces agglutinés autour sont hors service : un café, une gargote, un taxiphone. Tout est off. Heureusement que la salle de toilette est encore fonctionnelle. A Boumedfaâ, c'est la détresse des vendeurs de poteries traditionnelles qui nous interpelle. Hocine, jeune marchand veillant sur un de ces magasins où s'entasse une panoplie de produits de l'artisanat local, confie : « Le commerce est mort. Les clients qui restent sont ceux qui sont forcés de faire une incursion à Boumedfaâ pour se rendre à Hammam Righa. Sinon, c'est la dèche totale. Et tous les commerces de Boumedfaâ et de Oued Djer sont dans la même situation. » Quid des relais routiers ? Hocine est pessimiste : « Même s'ils nous casent au niveau de ces relais, ça ne sera jamais pareil. Nous n'aurons pas la même surface. Où mettre toute cette marchandise ? » Petit trafic contre gros business Le ministre des Travaux publics, Amar Ghoul, vient d'assurer depuis Constantine que 42 stations-service vont couvrir l'ensemble du réseau autoroutier. Le marché sera confié à Naftal, un choix justifié par la volonté de « gagner sur les délais, d'une part, et consolider les capacités nationales, d'autre part », indique un document du ministère. « Les cahiers des charges ont été déjà finalisés et l'attribution des marchés aura lieu avant la fin de l'année pour réaliser un premier lot de 14 stations-service », a affirmé M. Ghoul. Comme nous l'évoquions tantôt, ce qui turlupine les petits commerçants, c'est l'accès à ces nouveaux territoires induits par le « gros business » de l'autoroute Est-Ouest. Des petites villes comme Oued Fodda, H'madna, Sidi Lakhdar, Sidi Khettab, Djediouia, Oued El Djemaâ, Oued Rhiou, Boukadir, pour ne citer que les localités riveraines de la RN4, dépendaient dans une large mesure de la clientèle drainée par l'ancien axe routier. Avec ce détournement des flux, combien auront la chance de se placer dans la nouvelle infrastructure ? Combien possèdent les capitaux, la technicité et les relations nécessaires pour se connecter à ce réseau qui est d'un tout autre calibre ? Que l'on songe, en effet, à tous ces petits boulots, cette « faune » de petits camelots qui n'avaient pas besoin de registre du commerce pour vendre galettes, cigarettes et quelques bouteilles d'eau ou une corbeille de figues et qui, du jour au lendemain, se voient mis en demeure de se recycler à l'échelle de « machrou'e el qarn », avec ses avis d'appel d'offre abscons et son lobbying de haut vol. Les voici de but en blanc confrontés au grand capital des grandes boîtes qui vont accaparer le marché des grands relais. Ils le savent intimement : ils n'ont aucune chance de rivaliser avec les chaînes de fast-foods autoroutiers qui se profilent, les investisseurs au long cours (et aux longs bras) et un Etat tentaculaire qui laisse peu de marge aux petits trabendistes de la vie qui végètent sous un parasol en carton au bord de l'humanité… Balises : Petits conseils pour la route En ces temps de canicule, prévoir avant d'embarquer une ou deux bouteilles d'eau fraîche. Faire le plein de préférence dans la ville de départ. Cela devrait vous suffire pour couvrir l'ensemble du trajet. Prévoir également quelques victuailles pour la route, surtout pour les enfants : fruits, biscuits ou sandwichs. Pour des repas plus copieux ou pour faire le plein de carburant, les automobilistes peuvent emprunter l'une des bretelles menant vers les petites villes que traverse la RN4. Si vous roulez de nuit et que vous avez des appréhensions quant à la sûreté du trajet, il est préférable d'emprunter l'ancienne route. Elle est de toute façon désengorgée le soir, et davantage encore depuis que l'autoroute Est-Ouest lui a ravi la vedette. Dernier conseil pour la route : avoir dans son carnet d'adresses des numéros utiles au cas où… : mécano, police secours, etc.