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‘Il faut également travailler sur le développement industriel avec une meilleure intégration régionale'
Dr. Zoubir Benleulmi // Directeur de White Sea Business School
Publié dans El Watan le 20 - 04 - 2020

Dr. Zoubir Benleulmi est professeur et conférencier en management de l'innovation. Ancien Directeur de la conception au sein de Philips à Singapour, il est diplômé de l'Ecole des hautes études commerciales de Paris (HEC Paris) et de l'université de Constantine. Il est l'auteur d'une trilogie sur la gouvernance en Algérie : Conduite du changement dans l'Université algérienne (2015), Paroles d'Algériens (2019) et Réflexions pour la Constitution algérienne (2019). Il est également co-auteur d'une étude sur le risque pays – Algérie.
-Comme tant d'autres pays africains, l'Algérie est sous la menace d'une grave récession que peut provoquer cette crise mondiale du Covid-19. Comment doit-on agir pour faire en sorte que le choc économique et social soit peu dévastateur ?
L'impact de la pandémie liée au Covid19 est indéniablement sévère pour l'Afrique dans son ensemble et pour l'Algérie, en particulier. Non pas par le coût humain, puisque le nombre de décès reste, fort heureusement, très limité comparé à celui de certains pays développés, mais par le frein à l'activité humaine à l'échelle mondiale et ses conséquences sur la vie de 1.3 milliards d'Africains, dont l'espérance de vie moyenne est de 64 ans. Il s'agit notamment des deux cents millions de Nigérians, des cent millions d'Egyptiens, des cent millions d'Ethiopiens, des quatre-vingt-dix millions de Congolais, et des citoyens de 39 pays africains classés parmi les pays les plus pauvres de la planète, sans oublier bien sûr les quarante-quatre millions d'Algériens, qui représentent un peu moins de 4% de la population africaine.
L'économie pâtit non seulement des limitations imposées à l'activité humaine pour réduire la propagation du Coronavirus, mais aussi des mesures prises par de nombreux pays pétroliers, dont le nôtre, pour réduire leurs dépenses et les adapter aux recettes qui ont fondu comme neige au soleil. Aujourd'hui, l'Afrique du Sud, l'Angola, le Botswana, le Kenya, le Maroc, la Tunisie et le Zimbabwe ont instauré un confinement total de la population, alors que l'Algérie, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, l'Egypte, le Gabon, le Ghana, le Nigeria et le Sénégal ont opté pour un confinement partiel. Et les effets de cette crise sanitaire mondiale sont graves ! Selon la Banque mondiale, « La pandémie de Covid-19 (coronavirus) entraîne l'Afrique subsaharienne vers sa première récession depuis 25 ans».
Pour l'Afrique du Nord, la croissance est également revue à la baisse, même si elle reste positive pour les pays importateurs de pétrole, comme l'Egypte et le Maroc. Ce n'est malheureusement pas le cas pour notre pays qui entre en récession avec une croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) 2020, estimée à -3%, alors que son PIB devait croitre de 1.9% en 2020 dans les estimations faites en octobre 2019, toujours selon les chiffres de la Banque Mondiale. Devant l'ampleur de cette crise, l'Afrique bénéficie de l'aide internationale, notamment celles de l'OMS et des institutions bancaires comme la Banque Mondiale, le FMI, l'Union Européenne, l'Organisation de la Coopération Islamique, l'alliance des Croissants-rouges & Croix rouges, de l'OCDE, du PNUD, de l'Unicef, etc.
De son côté, la Banque Africaine de Développement a créé un fonds doté de 10 milliards de dollars pour aider les pays membres régionaux à lutter contre la propagation du Covid-19 sur le continent. Quant à l'Unité Africaine, qui est actuellement présidée par Cyril Ramaphosa, Président de l'Afrique du Sud, elle a lancé un fonds africain pour la réponse au Covid-19 et elle a doté les Centres africains de Contrôle des Maladies d'un budget additionnel de 4.5 millions de dollars. L'aide multilatérale et bilatérale est également mise en œuvre. C'est notamment le cas de l'aide apportée par la Chine à plusieurs pays africains, de l'aide apportée par l'Algérie à la Libye et de l'aide de Cuba et des Etats-Unis fournies à l'Afrique du Sud.
-Une situation exceptionnelle qui appelle à des mesures exceptionnelles. Vous qui vivez loin du pays, auriez-vous perçu une quelconque innovation ou agilité dans les actions jusque-là entreprises collectivement par nos pouvoirs publics pour en limiter les impacts et les dégâts, directs ou collatéraux, soient-ils?
Je tiens à saluer les nombreuses décisions prises par les pouvoirs publics pour assurer la continuité des services essentiels, l'approvisionnement du pays, l'enseignement à distance, la facilitation de certaines procédures relatives aux crédits bancaires et à la fiscalité, la production d'appareils d'assistance respiratoire, etc. Il en va de même des mesures de solidarité pour qu'aucun Algérien ne soit laissé de côté. C'est primordial dans cette situation inédite. Je souhaite également rendre hommage au dévouement des personnels de santé et de tous ceux nombreux qui concourent à la continuité de la vie économique et sociale par leurs efforts et leurs initiatives. Nous devons bien sûr aller plus loin pour soutenir notre économie : les pouvoirs publics doivent être innovants, agiles et agir collectivement pour accompagner les entrepreneurs et les entreprises, qui sont les anticorps qui nous protégeront des effets du coronavirus et de ce que j'appellerai rétrovirus ; à savoir ce virus qui nous rend si dépendant du pétrole et qui inhibe notre capacité à diversifier notre économie et à utiliser le potentiel énorme de notre jeunesse. Avec nos entreprises, il faut trouver les moyens de préserver les emplois et ouvrir de nouvelles voies pour le développement, notamment dans le domaine de la transition numérique et le développement d'appareillages médicaux et de médicaments.
Nous avons déjà fait de grands pas dans ces domaines et nous pourrions capitaliser sur ses acquis et en tirer profit. Pour la transition numérique, les investissements consentis sont considérables dans le déploiement du réseau de fibres optiques, la téléphonie mobile, les solutions informatiques connectées, l'ouverture aux réseaux sociaux, le biométrique, le paiement [email protected], etc. Il faut passer à la vitesse supérieure avec des solutions de télépaiement performantes et accessibles à tous et rendre possible de nouvelles applications comme le e-commerce, la télémédecine, et faciliter ainsi le télétravail. Il faut également travailler sur le développement industriel avec une meilleure intégration régionale. Cela passe par la coopération internationale et je pense que cette pandémie peut générer des opportunités intéressantes : aujourd'hui l'Europe réalise qu'elle est trop dépendante de la Chine et d'autres pays asiatiques. Elle pourrait donc délocaliser certaines industries vers l'Europe ou des pays voisins comme l'Algérie. Cela répondra également aux préoccupations écologiques en réduisant l'impact du transport. Une telle coopération donnera un vrai sens à ce qui s'appelle « Accord d'association avec l'Union Européenne ».
Les Chinois pourraient également être intéressés par installer des usines en Afrique du Nord pour servir le marché européen et rassurer ainsi leurs clients européens. Nous avons des atouts certains à faire valoir pour saisir ces opportunités. A nous d'être proactifs ! Pour le court-terme, nous devons préparer la reprise graduelle du travail. Il faut pour cela assurer les mesures préventives de distanciation et de protection des travailleurs. Et tant que cette pandémie dure, il faut trouver des solutions pour ceux qui sont les plus vulnérables, comme ceux qui sont atteints de maladies chroniques et ceux qui sont obèses. Ils pourraient selon le cas bénéficier de congés, de congés maladie, de l'assurance chômage ou pour les plus âgées bénéficier d'une mise à la retraite avec des conditions spécifiques, à définir.
D'un point de vue financier, il faut solliciter toutes les bonnes volontés et notamment les sociétés internationales actives en Algérie pour une contribution significative, au titre de la Responsabilité Sociétale, au financement d'un fond Covid19. Par la concertation, il est possible de trouver des solutions. C'est à ce prix que nous pourrions influer sur les prévisions de la Banque Mondiale, éloigner le spectre de la récession et engager une croissance conséquente pour les années à venir, synonyme de prospérité et de bien-être pour tous les Algériens.


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