Alors que le terrorisme islamiste est en train de disparaître, en emportant ses dernières reliques, réduites à l'état végétatif, le pays tarde à retrouver la voie de la réconciliation pourtant consacrée dans la loi depuis une quinzaine d'années. C'est le chemin inverse, menaçant la cohésion nationale, qui est proposé par une nouvelle nébuleuse obscurantiste. Des intégrismes naissants font planer le spectre d'une autre forme de «guerre civile» alors que la précédente est à peine résorbée. Au moment où l'auteur de la célèbre sentence «la démocratie est mécréance» est intégré, à son corps défendant, dans les rangs des partisans de la tolérance et du pluralisme, des centaines de nouveaux émirs et autres apprentis chefs spirituels, avec une large audience dans les nouveaux médias, entretiennent la flamme intégriste, alimentant un discours entre l'exclusion et la guerre sainte. Comme lors des précédents épisodes d'explosion fondamentaliste vécus par le pays depuis le début des années 1980, c'est l'autorité publique qui balise et encadre le raidissement social et culturel. Dans cette conjoncture de la levée du confinement sanitaire, le débat est axé sur la réouverture des lieux de prière et non des blocs opératoires dans les hôpitaux, ou le bilan de l'enseignement à distance à l'université. Ce sont donc les «congrès hebdomadaires» de la mouvance islamiste qui urgent et non les colloques des médecins dans des services de soins mis en veilleuse depuis des mois. Il ne faudra pas compter sur des officiels qui veulent proclamer un «hirak béni», avec un lourd accent mystique, pour réaffirmer la voie de la rationalité, de la science et du progrès. Législateur à outrance, le pouvoir n'a guère été pédagogue. Il accompagne la déliquescence du système éducatif en multipliant les concessions devant le courant rétrograde qui mine non seulement la société mais le mouvement citoyen né en février 2019. On frôle les excuses devant des illuminés qui s'en prennent à une fresque murale et on s'abandonne à une déprime diplomatique à cause d'une émission de télévision qui a ému les adeptes d'un projet de société non encore identifié, apparu en cours de révolte populaire, faisant une référence abstraite au début de la guerre d'indépendance et à une frange controversée du Mouvement national. Pour mieux hypothéquer l'avenir, des velléités révisionnistes tentent d'assombrir les pages les plus glorieuses du récit national, ses héros, ses faits d'armes et ses victoires historiques. Les autorités ont concédé un dispositif de lutte contre la discrimination et le discours de la haine, mais sa mise en application est d'ores et déjà compromise. Il y a, d'un côté, un manque de volonté politique «endémique» et, de l'autre, un terrain social largement travaillé en profondeur par une école décérébrée et l'importation pendant longtemps d'un «package» culturel et religieux sans relation avec les références nationales et régionales. L'espoir d'un changement dans le sens de l'édification nationale et du développement est tributaire d'un dépassement, à la base, du piège du populisme exacerbé et des embardées intégristes.