Depuis quelque temps, la virtualité d'une prise de pouvoir par les islamistes est brandie comme un épouvantail. Belkhadem puis Ouyahia se relaient pour nous rassurer : l'intégrisme ne passera pas, nous ressassent-ils. Non pas parce qu'ils ont mieux à nous proposer que Djaballah, Menasra ou Soltani, mais parce que, nous, ayant éprouvé l'islamisme autant dans sa démarche violente et meurtrière que dans son intolérance ordinaire, nous n'en voudrons certainement pas. Pas si sûr ! C'est peut-être plutôt un second janvier 1992 dont on ne voudra pas. Un arrêt de processus électoral pour aboutir aux affaires Khalifa, BNA, BCIA, BRC, Sonatrach, autoroute Est-Ouest, thon rouge, etc. ; un arrêt du processus pour parvenir à voter l'impunité des terroristes ; un arrêt du processus pour en arriver à trois mandats d'arbitraire jamais égalé… C'est ce genre de sauvetage ruineux du système qui ne devrait pas trouver de soutien. Il n'est pas certain que Djaballah, Menasra et Soltani soient plus intégristes que Belkhadem. Et c'est Ouyahia qui justifiait récemment la campagne de fermeture de bars parce qu'ils abritent des “bagarres”. C'est le régime de Bouteflika qui a jugé des jeunes hommes qui ont bu de l'eau un jour de Ramadhan, condamné un autre parce qu'il s'est converti au christianisme et traîné d'audience en audience une femme parce qu'elle transportait des bibles. Depuis le début des années 1970, l'Islam a été enrôlé par le pouvoir pour contrecarrer l'aspiration moderniste et la revendication démocratique des élites sociales et de la jeunesse algérienne, tantôt en sous-traitant la terreur à des forces obscurantistes, tantôt en faisant de l'Etat le gardien de “constantes” identitaires puisées dans la doctrine fondamentaliste. C'est tout de même le FLN qui a traîné jusqu'à Rome pour signer le traité de San'Egidio avec le FIS ! Et jamais le pouvoir n'a condamné un islamiste pour ses exactions contraignantes envers les citoyens et les citoyennes, surtout. Un vaste mouvement de “piété sous contrainte” a, depuis le début des années 1990, culturellement transformé l'Algérie en banlieue de Peshawar sous le regard “réconciliant” des autorités. Plus tard, l'Etat recrutera de jeunes agents de l'ordre plus enclins à faire les vigiles de la vertu qu'à assurer l'ordre public civil. Les Algériens subissent ce rigorisme d'Etat dans la vie quotidienne. L'intégrisme n'est pas à craindre ; il sévit déjà depuis longtemps. Et pas du fait d'un islamisme militant, mais d'un islamisme de pouvoir. La vigilance intégriste d'élus et de fonctionnaires fait partie du contrat d'appartenance au système rentier bureaucratique. Depuis 1999, la situation a empiré : l'impunité des terroristes instituée par la charte pour la paix et “la réconciliation nationale” s'est accompagnée d'une prise en charge du souci rigoriste des islamistes. Comme si la religiosité des Algériens était la véritable préoccupation des terroristes islamistes ! Non, de ce point de vue, l'islamisme partisan et l'islamisme d'Etat se rejoignent : c'est, dans les deux camps, un instrument de normalisation et de gestion des masses. Il n'y a pas plus de raison d'appréhender l'islamisme qui conteste que de subir l'islamisme qui sévit. Cette fois-ci, le pouvoir devrait se chercher d'autres arguments pour légitimer sa volonté de s'éterniser. M. H. [email protected]