Les lendemains de l'extinction des foyers d'incendie furent pour les populations sinistrées tout aussi insoutenables que la furie des flammes semant mort et désolation sur leur passage. L'odeur des cadavres calcinés encore fumants, parmi lesquels des familles entières décimées, découverts par les villageois sur les lieux du sinistre, planait au-dessus du village martyr de Ikhelidjene, dans la commune de Larbaâ Nath Irathen, wilaya de Tizi Ouzou. Inconsolables, les habitants de ce village le seront pour toujours, après la perte cruelle de pas moins de 25 des leurs, piégés par la violence des incendies. Trois familles du village avec femmes et enfants ont péri dans ces incendies qui ont fait basculer, en quelques minutes, le destin des villageois. Comment faire le deuil, individuellement et collectivement, face à une telle hécatombe ? Dans ces villages où les liens sociaux de solidarité sont si forts, la famille au sens de l'état civil se fond et se confond avec la grande famille représentée par la population du village. Et c'est d'autant plus vrai encore dans les situations exceptionnelles. Se pose alors la question de savoir comment un tel drame, inimaginable, connaissant l'état d'organisation communautaire des villages de Kabylie, a-t-il pu survenir ? Pourquoi ces villageois n'ont-ils pas été exfiltrés de la ceinture de feu dans laquelle ils se trouvaient piégés avant l'arrivée des flammes dans le village ? Le comité du village martyr de Ikhelidjene, les autorités locales, à l'échelle de la commune, de la daïra et de la wilaya sont vivement interpellés par cette tragédie. Une enquête indépendante doit être engagée pour faire la lumière sur les circonstances de ce drame collectif, situer les responsabilités et prendre les mesures nécessaires pour éviter que la mort ne se banalise ; que la fatalité pour justifier le dysfonctionnement criant dans le dispositif de secours et d'évacuation des populations des villages menacés par les incendies ne se substitue à la force de la loi. Seule une enquête impartiale pourra déterminer pourquoi ces trois familles, ainsi que les autres victimes, n'ont pas fui leur village, comme le reste des villageois, aussitôt l'alerte de l'incendie donnée ? Par leurs moyens propres ou, à défaut, avec l'aide du comité de village ou des autorités ? On a du mal à croire à un geste sacrificiel nourri par l'attachement viscéral à la terre des ancêtres. Les victimes ont-elles refusé de quitter leurs maisons dans l'espoir de sauver leurs biens en ne mesurant pas l'ampleur du danger ? Quand bien même ce serait le cas, cela n'exonère en rien la responsabilité du comité de village, du réseau associatif local et, surtout, fondamentalement, celle de l'Etat, à travers ses démembrements à l'échelon local, de n'avoir pas évacué les villageois et épargné ainsi un drame qui a choqué l'opinion nationale par sa cruauté. Les tombes des victimes témoigneront, pour l'éternité, que la mission régalienne de l'Etat de protection des biens et des personnes consacrée par la Constitution a trébuché, de façon tragique, à Ikehlidjene et, sans doute, ailleurs aussi. Cette tragédie pose le problème lancinant du plan d'évacuation des personnes dans les situations de catastrophe. Les scènes de panique des populations fuyant leurs villages en proie aux flammes renseignent sur l'absence d'un plan organisé d'évacuation des personnes. C'était le sauve-qui-peut ! Advertisements