Les familles des disparus ont été empêchées de se rassembler, hier, devant le ministère de la Justice. Répondant à l'appel de SOS Disparus et de l'Association nationale des familles des disparus (ANFD), les mères et sœurs des personnes disparues durant la décennie rouge - plus de 300 selon les organisatrices et une trentaine selon la police - n'ont pas pu rejoindre le point de ralliement, quadrillé dès la matinée par un dispositif musclé des services de maintien de l'ordre. Boucliers, casques et matraques à la main, les hommes en bleu, dépêchés en grand renfort, ont bouclé, aux protestataires, toutes les issues menant vers le building occupé par Tayeb Belaïz, ministre de la Justice et garde des Sceaux, lequel devait recevoir une délégation des manifestantes. Les personnes soupçonnées d'être venues prendre part au rassemblement ont été prises de court et chassées illico. 10h passées. L'accès aux alentours du siège du ministère est devenu sévèrement restreint, limité aux seuls travailleurs de cette institution, sinon aux riverains. A une centaine de mètres de là, dans la rue Ali Khodja, centre-est d'El Biar (Alger), les protestataires criaient à l'injustice et réclamaient la vérité sur la disparition de leur progéniture, frères ou proches. Des cris fusaient de partout, reproduisant les vieux slogans chers aux familles des disparus, notamment « Raddoulna oueladna » (rendez-nous nos enfants). Un officier de police en civil, en colère, a, quelques minutes plus tard, intimé l'ordre aux vieilles femmes, en hidjab dans leur majorité et agglutinées sur l'exigu trottoir longeant la rue Ali Khodja, de quitter les lieux. Faute de quoi, elles seront embarquées. Au milieu de la foule, on pouvait reconnaître Fatma Yous, présidente de SOS Disparus et ses proches collaboratrices ainsi que Lila Iril, présidente de l'ANFD. Mais les protestataires ont refusé de repartir chez elles. L'officier a fini par « ployer » devant leur entêtement en décidant de les contenir sur place sans pouvoir avancer vers le lieu du rassemblement. « Restez-là, vous ne bougez pas. Nous allons voir avec le ministère s'il y a quelqu'un qui pourrait vous recevoir », a-t-il lâché à l'adresse des manifestantes, encerclées par un impressionnant cordon de policiers antiémeutes. Une heure plus tard, une délégation, composée des présidentes des deux associations organisatrices et deux membres de bureau de SOS Disparus, est invitée à s'approcher du ministère en lui promettant d'être reçue par un responsable. Après une autre heure d'attente, le chef de sécurité de cette institution a fait apprendre à cette délégation que tout le monde était occupé. Il n'y avait personne pour la recevoir. « Il nous a suggéré de faire un écrit que lui-même se chargera de transmettre à qui de droit », ont-elles déclaré à leur retour, se dirigeant vers la foule qu'on a fait languir depuis le matin. Apprenant la nouvelle, les manifestantes ont vite piqué une colère. Certaines ont éclaté en sanglots. D'autres ont repris leurs slogans. Le rassemblement s'est poursuivi jusqu'à 12h30. Les policiers, ayant perdu patience, ont dispersé la foule par la force. De vieilles femmes ont été malmenées. Pourtant, ces manifestantes ont voulu seulement exposer la situation qu'endurent les familles depuis une décennie. Notamment le cas des plaintes déposées auprès des juridictions compétentes, avec des noms et des preuves à l'appui, contre certains agents de sécurité responsables de la disparition de leurs enfants. Plaintes qui n'ont connu aucune suite. Si elles n'ont pas eu des non-lieux, les familles sont épuisées de voir leur affaire toujours devant les tribunaux. Les organisatrices de ce rassemblement ont voulu également exprimer leur refus quant au traitement du dossier par l'argent, tel que proposé par Me Mustapha Farouk Ksentini, qui a remis le 31 mars dernier son rapport final au président de la République. Rapport qui reste confidentiel.