22 arrestations et 7 blessés, dont 3 policiers des brigades antiémeute, tel est le bilan des « accrochages » qui ont mis aux prises les services de l'ordre, dépêchés sur les lieux en nombre important, à plus de 2000 manifestants qui réclamaient le droit au logement. Tôt dans la matinée d'hier, à 7 h 30, les manifestants occupaient déjà la placette de Triolet, formant ainsi un barrage humain infranchissable. Composés de familles entières, les protestataires s'étaient entassés et étaient assis à même le sol au centre du rond-point menant à Chevalley. Ils se sont installés derrière des banderoles dénonçant la « hogra » et le déni de droit. « Non à la hogra du wali délégué », « Non aux chalets des sinistrés, rendez-nous nos logements et notre dignité » et « Où sont passées vos promesses pour l'honneur et la dignité Monsieur le président de la République ? » étaient les principaux slogans scandés par les manifestants sous un soleil de plomb.Rien ne présageait une tournure dramatique puisque les protestataires avaient eux-mêmes formé un service d'ordre pour prévenir tout dépassement. « Nous sommes des pacifistes. Nous avons tout fait pour qu'aucun dépassement ne se produise. Nous revendiquons uniquement notre droit au logement. Soyez témoins devant Dieu et portez haut nos revendications », lancent les manifestants aux journalistes de la presse privée, dépêchés en nombre important sur les lieux. « Le wali délégué a ordonné qu'on nous coupe l'eau et l'électricité pour nous forcer à quitter nos habitations », nous avoueront des citoyens en colère. Au milieu de cette foule immense, les discussions vont bon train pour discréditer le wali délégué de Bab El Oued et le maire de la commune de Oued Koreich. « N'ayant rien trouvé de mieux à faire à une vieille personne, le wali délégué l'a placée dans une maison de vieillesse pour en faire un cas de moins », nous diront aussi d'autres citoyens également en colère. Au moment où crépitaient les flashs des photographes immortalisant des scènes d'hommes, de femmes et d'enfants en pleurs demandant que justice leur soit rendue, les talkies-walkies des policiers étaient utilisés pour demander du renfort. Bouclier « Ils sont très nombreux. Ils ne veulent pas revenir à la raison. Envoyez-nous des renforts », lance un officier énervé, qui avait auparavant utilisé toute sa « diplomatie » pour faire libérer la voie, en vain. « Il n'est pas question que nous quittions les lieux avant le retour de la délégation qui est allée à la rencontre du président de la République », répondront les citoyens qui formaient un bouclier de protection autour des femmes et des enfants. Effectivement, nous apprendrons sur place qu'une délégation a été désignée pour remettre un mémorandum au président de la République. « Nous avons désigné une délégation qui doit remettre une lettre au président de la République, portant sur plusieurs revendications, et pour dénoncer le wali délégué de Bab El Oued qui nous a menacés de faire appel à l'armée », nous avouera l'un des membres du comité de Diar El Kef. « Je vous bombarderai avec du napalm s'il le faut. Advienne que pourra, vous quitterez les lieux », accusent aussi les membres du comité. Au fur et à mesure que les minutes s'égrenaient, des deux côtés, les nerfs commençaient à lâcher. Il a fallu qu'un manifestant traverse au milieu des brigades antiémeute, l'emblème national au vent, pour que la tension monte. Djazaïrouna et Kassamane sont repris par des centaines de poitrines. Jusque-là, les brigades d'intervention, restées en « spectateurs », reçoivent l'ordre de faire évacuer la voie par la force. S'en est suivie une panique indescriptible. Des femmes et des enfants sont piétinés.Chaque espace sécurisé était réservé justement à ces femmes et à ces enfants en pleurs. La première victime, une femme sérieusement touchée, est conduite en urgence vers l'hôpital Maillot. Aux pierres que lançaient les « mutins » répondaient les services de sécurité par des bastonnades. « Guerre » Des mots d'ordre hostiles au Pouvoir font leur apparition. « Pouvoir assassin », « Bab El Oued chouhada » et « Libérez Benchicou » retentissaient... N'ayant certainement rien prévu pour faire face à une telle tournure, les manifestants se sont dirigés vers un chantier limitrophe pour jeter à même la voie publique des tonneaux et tout ce qui pouvait constituer un obstacle aux services de l'ordre. Face aux arrestations qui se multipliaient, l'ardeur des « mutins » a atteint le summum de la revendication. « Libérez nos détenus » est devenu le slogan-phare des manifestants. Devant le flux de pierres qui se déversaient de la colline mitoyenne sur le lieu des affrontements, les policiers n'avaient aucune autre issue que de réagir de la même manière. La colère a atteint son paroxysme des deux côtés. La « guerre » n'allait prendre fin qu'au moment du décompte des pertes. Trois policiers ont été blessés. L'un d'eux a été sérieusement atteint au visage, un autre à la poitrine.