La programmation de la visite en Algérie de la délégation d'Amnesty International (AI) dans la conjoncture politique interne marquée par le débat autour du projet de l'amnistie générale n'est certainement pas le fait d'un simple hasard de calendrier de cette ONG. Les déclarations et les positions de cette organisation par rapport à ce dossier donnent une idée précise de ce qu'attendent les responsables d'AI de leur séjour en Algérie. Rejetant le principe de l'amnistie générale telle qu'elle se dessine, Amnesty International est venue en Algérie beaucoup moins pour la quête de vérité sur cette page douloureuse de l'histoire du pays que motivée par la recherche de coupables tout désignés. Sans le dire ouvertement pour ne pas compromettre leur séjour en Algérie par des déclarations qui pourraient être forcément mal vues par les autorités algériennes, ce qui intéresse les responsables d'AI, c'est de pouvoir valider sur le terrain en Algérie, avec des interlocuteurs algériens triés sur le volet et tout acquis à leur vision sur la crise qui secoue le pays, la thèse de la responsabilité exclusive du pouvoir et pour être plus précis encore « des généraux » algériens dans cette crise. Le coupable et la victime - les islamistes - sont déjà connus à l'avance. Ce parti pris remonte en vérité aux origines même de la crise. Les terroristes qui ne faisaient pas de quartier pour passer à la lame hommes, femmes, enfants, vieillards, revendiquant publiquement avec fierté comme de hauts faits d'armes attentats et massacres collectifs sont qualifiés sans discernement par cette ONG de « groupes armés ». Aujourd'hui, des repentis, des chefs terroristes qui ont déposé les armes reconnaissent l'implication de la mouvance islamiste dans ces assassinats en justifiant l'injustifiable : la violence et le terrorisme comme un moyen de légitime défense. D'anciens chefs de l'AIS, pour se donner bonne conscience, n'hésitent pas à accabler publiquement des groupes terroristes rivaux, notamment le GIA, auquel est imputée la responsabilité des massacres et des drames survenus durant toutes ces années sanglantes. Ces nouveaux éléments sur la responsabilité de la mouvance islamiste radicale assumée aujourd'hui par les parties concernées elles-mêmes à travers des déclarations de leurs anciens responsables intéresseront-ils les représentants d'AI qui ont toujours appréhendé le dossier du terrorisme en Algérie avec des œillères pour ne voir que ce qui va dans le sens de l'idéologie de cette organisation ? Les représentants de cette ONG auront-ils le courage et la probité morale de rencontrer les familles de victimes du terrorisme qui n'ont jamais figuré jusqu'ici sur l'agenda des invités algériens au profil politique bien connu qui ont défilé au siège de l'organisation durant toutes ces années de sang et de larmes ? Opacité Une opacité totale entoure le séjour de cette ONG. Que ce soit au niveau de la composante de la délégation - tous les éléments ne sont pas encore arrivés à Alger alors que les contacts bien ciblés ont déjà commencé à l'initiative des deux premiers membres de la délégation qui se trouvent dans notre pays - ou encore au niveau de la feuille de route de la délégation. La délégation n'a pas d'ordre du jour officiel. Alors qu'il s'agit d'une visite officielle dûment approuvée par les autorités algériennes, l'absence de transparence qui caractérise la mission de la délégation d'AI en Algérie en fait presque une activité clandestine. Même si l'on pourrait comprendre les précautions et les réserves d'usage dans le fonctionnement de ce genre d'organisation pour ne pas dévoiler ses cartes aux pouvoirs en place, ce n'est certainement pas la meilleure manière d'aider à la manifestation de la vérité - si tel est réellement l'objectif de cette ONG - qui requiert de la probité, de l'impartialité et des activités au grand jour pour ne rien laisser aux procès de l'ombre qui ont fait beaucoup de mal à l'Algérie. Même si le séjour de la délégation d'AI ne fait pas l'unanimité, surtout dans les milieux proches des victimes du terrorisme et du camp démocratique qui n'ont pas oublié les positions de cette organisation qui a toujours confondu volontairement la victime et le bourreau, il demeure qu'en autorisant la venue de cette organisation à Alger, les pouvoirs publics ont réussi une fort belle opération de marketing politique. La politique du repli sur soi pratiquée jusqu'ici a contribué à jeter la suspicion sur la manière dont les autorités algériennes ont géré la crise. La quête de la vérité, qui est une revendication d'abord du peuple algérien avant d'être celle d'Amnesty International ou d'autres ONG, ne pourra provenir que des Algériens eux-mêmes, gouvernants et gouvernés. C'est leur histoire. Et c'est à eux qu'il appartiendra de décider ce qu'ils en feront.