Sur le tapis rouge, tandis que Salma Hayak offrait ses splendides rondeurs aux objectifs des photographes débordés d'excitation sur les écrans du festival, section officielle, c'étaient la déprime, le désarroi, les sombres et glaçantes désillusions qui transparaissaient à travers les images. Peu de sereines visions du monde actuel. Au contraire, la noirceur est imprimée sur chaque plan. le superbe film japonais de Masahiro Kobayashi Bashing décrit le rejet chronique par la société japonaise d'une jeune fille Yuko de retour au pays après avoir été prise en otage et ensuite libérée au Moyen-Orient. Yuko travaillait comme bénévole dans une ONG. Sa tragique captivité a choqué le Japon. A son retour, elle ne rencontre que mépris, humiliation, insultes, harcèlements par téléphone et agressions dans la rue. Poussée à bout, Yuko achète un billet pour Amman car elle préfère retourner là où elle fut kidnappée : pour retrouver le sourire des enfants qui l'entouraient. Entre temps, Yuko avait perdu son travail (le patron d'hôtel où elle était femme de ménage lui dit qu'il subit des pressions) et son père, après 30 ans dans une usine comme ouvrier, est forcé de déposer sa démission. Le père est obligé de s'agenouiller devant le contremaître de l'usine, mais celui-ci ne cède pas. Poussé par tant d'humiliation, le père de Yuko se suicide. Bashing, au niveau de la mise en scène et du travail des acteurs, est un film brillantissime, dans la droite ligne d'Ozu. C'est profondément touchant et sincère. Ce qui n'est pas du tout le cas du film kurde présenté en grande pompe ici avec le ministre de la Culture du Kurdistan irakien à la conférence de presse... Il s'agit de kilomètre zéro, de Hinet Saleem. Ce film est bougrement médiocre même s'il est officiel ! C'est un film de pure propagande qui tire sur tout ce qui n'est pas kurde, notamment sur tous les Arabes en Irak ou ailleurs. Impossible d'entrer dans les détails d'une réalisation si confuse (histoire d'un soldat kurde qui cherche à se faire démobiliser pendant la guerre Irak-Iran). C'est simple kilomètre zéro porte bien son titre : c'est glauque de bout en bout. On peut faire deux hypothèses sur ce choix malheureux à la compétition officielle. Soit celui qui l'a imposé au festival croit faire plaisir à Emir Kusturica, patron du jury, parce que ce dernier est supposé aimer les films de guerre... soit à la suite des critiques d'une petite partie des médias l'an dernier à propos de la sélection du travail mémorable de Michael Moore (sur l'Irak, Bush, la CIA, etc.), on a voulu, cette année, montrer l'extrême opposé, tout le contraire de l'astucieux opus de Moore un film « embeddad », grossier, haineux, en fait quelque chose qui pédale dans le néant absolu. Lemming, film français de Dominik Roll, est comme le film japonais : sombre et inquiétant. Mais ce n'est pas du tout un film politique. C'est un thriller où Charlotte Rempling et Charlotte Gainsbourg sont remarquables et qui fait basculer un couple d'une vie sans nuages à un cauchemar absolu. Mais Lemming est très digne de la compétition qui comprend aussi un film américain : Last Days de Gus Van Sant sur le défunt musicien, leader du groupe Nirvana, Kurt Cobain. Ce dernier a mené une vie impossible et a fini par se suicider à l'âge de 27 ans, en 1994. Ici aussi, la déprime et le désarroi éclaboussent l'écran. Cobain était poussé par une obscure force d'autodestruction. Il se cachait. Il y a avait un véritable fossé entre lui et les autres. Nordest, de Juan Solanas, fils de Fernado Solanas, avec Carole Bouquet, raconte l'histoire d'une française qui part en Argentine à la recherche d'un bébé à adopter. Cette femme souffre d'un vide affectif alors que sa vie professionnelle est une réussite. Elle tombe en Argentine dans les griffes de la mafia du trafic d'enfants. Nordest est une peinture très sombre aussi d'une région de l'Argentine : dans un décor fabuleux, on voit l'exploitation violente des habitants. La vie, la chose la plus sacrée, est vouée au commerce.