La lame de fond qui a traversé la France le 29 mai est profonde. Le non des Français au traité constitutionnel européen traduit un divorce des citoyens français avec leurs dirigeants politiques qui n'ont pas pris compte de leur « désespérance sociale » induite par un chômage qui ne baisse pas - plus de 10% - et par un pouvoir d'achat en érosion ; de leur peur de la dissolution du « modèle social français » dans un ensemble européen unique. La cote de popularité de Jacques Chirac n'a jamais été aussi basse depuis son élection à la tête de l'Etat français en 1995. Seulement 24 % des personnes interrogées font toujours « confiance » au chef de l'Etat contre 74 % qui sont d'un avis contraire, selon un sondage TNS-Sofres réalisé pour le Figaro Magazine au lendemain de la victoire du non au référendum sur la Constitution européenne. Selon les résultats de ce sondage, 92 % des personnes interrogées estiment que l'action du gouvernement sortant contre le chômage n'a pas été efficace. Enseignements Le message des Français sera-t-il traduit en actes ? Les enseignements du vote du 29 mai sont à tirer à droite, mais aussi à gauche. Dominique de Villepin, nommé mardi à Matignon, a assuré « entendre le message d'inquiétude devant la mondialisation, le chômage, les délocalisations ». Il a aussi affirmé avoir perçu une « impatience » dans l'opinion. Pour la majorité au pouvoir, la situation est extrêmement difficile. Comment la redresser ? Si le président Chirac annonce une « mobilisation nationale », il ne propose pas de solution. Mardi soir, dans une déclaration aux Français, Jacques Chirac affirmait que « ce vote ne marque pas le rejet de l'idéal européen. C'est une demande d'écoute. C'est une demande d'action. C'est une demande de résultats. Face à la situation actuelle, comme à d'autres moments difficiles de notre histoire, il nous faut réagir, nous rassembler, surmonter nos difficultés et dépasser nos blocages pour faire progresser notre pays ». Cette intervention a été jugée « plutôt pas convaincante » par les Français, alors que 14% l'ont jugée « plutôt convaincante ». C 'est une mission périlleuse à plus d'un titre que le président Chirac confie à Dominique de Villepin. Il devra faire tandem avec le président de l'UMP, Nicolas Sarkozy, ce qui n'est pas pour lui faciliter la tâche. Un sondage Ipsos pour France2 et Le Monde indique, par ailleurs, que 57% des Français pensent que Dominique de Villepin ne réussira pas à redonner confiance au pays dans les mois qui viennent. Dominique de Villepin fait de l'emploi la priorité de son gouvernement. « Mon combat, le combat de tout mon gouvernement, c'est l'emploi. C'est la bataille que nous voulons mener au service des Françaises et des Français », « dans le respect de notre modèle français » déclare Dominique de Villepin. Il affirme toutefois qu'« aucune solution ne doit être écartée ». « J'aurai recours à toutes les expériences, même si certaines ont lieu ailleurs, je crois qu'il faut tout tenter dans cette lutte contre le chômage. » Dominique de Villepin se présente comme « pragmatique », « voulant des résultats », les premiers devant arriver, selon lui, dans les 100 jours. Sa marge de manœuvre est étroite : la plupart des syndicats déclarent qu'ils jugeront sur les actes et qu'ils attendent la déclaration de politique générale qu'il doit prononcer mercredi, tandis que le patronat pousse aux réformes et à la révision du code du travail. Chirac affaibli, Sarkozy se présente en rassembleur de la majorité. Numéro 2 du gouvernement en charge de l'Intérieur, des collectivités territoriales et de l'Aménagement du territoire, il reste à la tête de l'UMP, et préside le département (les Hauts-de-Seine) « le plus riche » de France. Les Français se montrent toutefois partagés sur la cohabitation de Villepin-Sarkozy : 43% estiment qu'ils réussiront à s'entendre et 43% qu'ils ne s'entendront pas, selon un sondage réalisé le 1er juin par téléphone auprès d'un échantillon national de 816 personnes représentatif de la population âgée de 18 ans et plus. La presse s'interroge sur le tandem de Villepin-Sarkozy choisi par Jacques Chirac pour incarner la « nouvelle impulsion » de la fin de son quinquennat. « Duo inattendu », « duo explosif », « attelage à risques ». Tout oppose a priori Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy : la laïcité, l'immigration ou le modèle social. Dès dimanche soir, le président de l'UMP, Nicolas Sarkozy, partisan d'une politique libérale à l'anglo-saxonne, réclamait « un tournant majeur dans nos politiques économiques et sociales ». « C'est vrai, nous nous sommes opposés, et puis nous avons travaillé ensemble (...) Il y a quelque chose qui dépasse nos personnes, qui dépasse ma personne et celle de Nicolas Sarkozy, c'est l'intérêt de la France, l'intérêt des Françaises et des Français, et c'est bien cela qui nous rassemble aujourd'hui, une même énergie », a dit le Premier ministre. Dans le gouvernement de l'après-29 mai, Michèle Alliot-Marie reste à la Défense, Thierry Breton à l'Economie, Jean-Louis Borloo à la Cohésion sociale. L'ancien ministre de la Santé, Philippe Douste-Blazy, est nommé aux Affaires étrangères, Gilles de Robien à l'Education nationale. Parmi les nouveaux entrants, l'écrivain et sociologue d'origine algérienne, Azouz Begag est nommé à l'Egalité des chances, l'ancienne porte-parole de Jacques Chirac, Catherine Colonna, est promue aux Affaires européennes. 17 ministres n'ont pas été reconduits parmi lesquels Michel Barnier (Affaires étrangères) qui fait les frais du non au référendum du 29 mai et François Fillon (Education nationale).