A l'ombre du béton armé et officiel de Maqam Echahid, l'association Chrysalide a organisé hier à la salle Frantz Fanon, de Riyadh El Feth, une rencontre avec Mahdi Acherchour pour la sortie de son dernier opus, Lui, le livre, (Ed. Barzakh). Incidemment, la rencontre a permis de réunir l'éphémère état-major des agitateurs créatifs, auteurs et artistes : Mustapha Benfodil, Ammar Bouras, Bachir Mefti, Habib Ayyoub, Sofiane Hadjadj et Samira Negrouche. Au milieu de ce monde, Mahdi Acherchour paraissait à l'étroit dans sa peau. Gêné de parler du silence de l'écrit. Tourmenté né, ce poète venu d'un tendre et aride coin de l'univers (Sidi Aïch en petite Kabylie), a déjà attiré l'attention en publiant des recueils de poésie au cahier de charges bouleversant : L'œil de l'égaré, (à l'âge de 24 ans en 1997), Expiatoire, sosie tragique, poème(s) infâme(s), (Marsa, 2001), Chemin des choses nocturnes (l'Aube-Barzakh, 2003). On a du mal à classer Lui, le livre. Récit ? Roman ? Prose éclatée ? Hadjadj, l'éditeur, parle d'un « roman de l'univers ». « J'ai raconté mes hésitations à écrire un livre », explique Acherchour. Dans ce livre, l'écriture serait une sonde spatiale larguée dans un univers constellé de neuf villages. Référence aux neuf cercles de l'Enfer de Dante. « Le livre me rapproche de mon monde qu'est l'enfer. L'enfer des origines », ajoute laconiquement l'auteur. Il puise dans son imaginaire les matériaux de réinvention d'un réel fragile. Presque inexistant. Ses propos sont éclatés. Peut-être est-il contaminé par la fragmentation du monde et de la conscience. « Ecrire en français m'intrigue », confie Acherchour. Alors, il remonte à l'enfance et à la langue préscolaire pour débusquer la langue innocente. Sans préjugés. Sans complexes historiques. Et puis, il y a l'histoire du basculement de la poésie vers la prose. L'auteur n'avait-il pas affirmé dans un proche passé que « tout ce que je fais hors d'elle, la poésie, relève de l'inaction ». « La conviction est une bêtise », assène Acherchour. « J'ai mis du temps à basculer. Mais la poésie a cimenté le tout », lâche l'auteur. Il assassine l'auteur pour laisser le champ libre au narrateur s'inscrivant dans la contemporanéité du texte et du contexte. « Je laisse faire les personnages. Parfois, je viens, je rôde, je colmate les brèches, c'est tout », dit-il entre deux bouffées nerveuses de tabac brun. L'astéroïde Faulkner, qui l'a frappé dans la somnolence de son village en Kabylie, l'a violenté, l'a poussé vers les prairies paradoxalement arides des chapitres en chapelets. Faulkner, le seigneur déchu du Mississipi, donne la réplique aux seigneurs déchus de Kabylie, personnages dignes de présence dans la vie et dans les textes. Maurice Blanchot a murmuré ses silences essentiels, quand les textes commencent là où s'arrêtent les mots. René Char est passé par là aussi. Dans ses déstructurations des vers qui n'en sont pas. Même les répliques d'Acherchour tiennent de la fragmentations oniriques. « Il délire ? », se demande discrètement un présent. Délire ? Peut-être. Mais dans ce jugement, on débusque le talisman Lire. Et c'est déjà ça.