En l'an 838, le calife abbasside Almoutacim remporta une victoire éclatante contre l'empire byzantin à la bataille d'Amorium, au nord-ouest de la Syrie. Auparavant, les spéculations les plus saugrenues sur l'issue de cette bataille avaient animé les esprits de l'Euphrate jusqu'à l'Egypte. Byzance, on le sait, était alors un grand empire qui avait la maîtrise des techniques de matraquage psychologique. Une comète, fit-on répandre un peu partout, à la silhouette étrange, s'apprêtait à traverser la voûte céleste à partir de l'Ouest. Aux yeux de tout le monde, cela était un signe de mauvais augure ! Quel était donc cet astre, si échevelé, auquel le poète Abou Tammam (804-845) fait allusion, au soir de cette bataille, dans une ode superbe en l'honneur du calife et de l'armée abbasside ? Au summum de la gloire et de la puissance, avec un parterre d'hommes qui avaient pignon sur la vie de l'esprit d'une manière générale, Bagdad de l'époque, avec à sa tête un gouvernant courageux et éclairé, sut renverser la vapeur en faisant de la raison et du raisonnement son véritable cheval de bataille. Pas question de céder aux élucubrations des astrologues de quelque bord qu'ils fussent. C'est au tranchant de l'épée, pour reprendre Abu Tammam, qu'il fallait s'en tenir, non en tant que tel, mais en tant que résultante d'un état d'âme, d'un état d'esprit. Bien que n'ayant aucune notion sur « l'astre occidental », objet de tant de propos incongrus, Abou Tammam semble, en revanche, avoir pisté la trace de tout le matraquage psychologique exercé par les Byzantins aussi bien à Bagdad que dans toute la Syrie. La victoire cinglante remportée par Almoutacim et son armée vint le conforter dans ses croyances, et donner ainsi raison à tout ce qui avait trait aux choses de l'esprit. Notre poète mourut en 845 sans avoir eu la chance d'observer, dans le ciel de Bagdad, le passage de l'astre, tant convoité par les astrologues. L'année suivante, 846, l'astre en question fit son apparition, complétant ainsi sa révolution de 76 ans autour du soleil. On savait déjà pas mal de choses sur ladite comète depuis le troisième siècle avant Jésus-Christ. On connaissait même la date du passage de celle-ci. Cependant, les astrologues, victimes qu'ils étaient de leurs propres sciences occultes, firent une erreur de jugement quant à l'issue de la bataille d'Amorium. De fait, une civilisation ayant fait de la raison sa pierre angulaire ne pouvait se permettre d'accorder le moindre crédit aux élucubrations des astrologues. « Propos incohérents, dit Abu Tammam dans son poème, faits de toutes pièces pour faire accroire que la catastrophe était imminente ». Les astronomes de l'ère classique islamique avaient une assez bonne connaissance des planètes du premier ciel. On s'orientait, sur terre comme sur mer, grâce à des étoiles comme Alda Baran, Sirius, Alyamani et autres. Apparemment, la comète d'Abou Tammam, il faut bien l'appeler ainsi, ne faisait pas partie du lot des corps célestes en relation directe avec les choses de la vie quotidienne de l'époque. Une société, aux projets si raisonnés, ne pouvait, en effet, dépendre dans ses calculs d'un astre qui revenait une fois tous les soixante-seize ans. En 1682, l'astronome anglais Edmund Halley (1656-1742) fixa, avec exactitude, la date du passage de cette comète, ainsi que la durée de sa révolution autour du Soleil. Depuis, on l'appela la comète de Halley. Par une simple opération arithmétique, on peut découvrir que « l'astre occidental », cité par Abu Tammam dans son poème, n'était autre que celui de Halley. Tout bien considéré, c'est la raison qui finit par avoir le dernier mot dans cette existence. On peut faire sienne les élucubrations astrologiques, aller bivouaquer du côté des sciences occultes, mais pour un certain temps seulement, car, et c'est là l'important, la raison vient inévitablement prendre l'homme par la main pour le guider dans le droit chemin.