Il était temps que les dirigeants européens se regardent dans le blanc des yeux et affrontent les obstacles au lieu de les contourner. Autrement dit, déplacer les problèmes, donc les laisser traîner et se développer. Le sommet européen qui s'ouvre demain à Bruxelles constitue en ce sens un moment de vérité. C'est en tout cas l'édifice européen qui est en train de s'ébranler. Pas de fissure pour l'instant, mais rien n'indique que l'après-sommet sera serein. Les électeurs français et néerlandais qui ont rejeté le traité constitutionnel auront bon dos. Eux ont tout juste dit ce qu'ils pensent d'un texte qui s'avère loin de leurs préoccupations. Ce sont les autres qui peuvent donner de la voix et parler au nom de leurs pays respectifs. A commencer par tous ceux qui découvrent l'inflation induite, selon eux, par la nouvelle monnaie européenne. Mais l'euro aura lui aussi bon dos face aux maigres performances des gouvernants. Ce sont ensuite ceux qui touchent gros, qui raflent la mise, ou en tout cas une bonne part des subventions européennes et qui demandent une rallonge, sinon le statu quo. Il y a enfin ceux qui paient pour les autres comme les Hollandais que les statistiques présentent comme les plus forts contributeurs par habitant et par an. Et le premier à avoir mis les pieds dans le plat et qui contraint désormais tous ses partenaires à des sourires crispés, est le Premier ministre britannique, auteur d'une performance plutôt rare en démocratie. Celle d'avoir gelé le processus référendaire dans son pays, car y aller à la suite du double non du mois dernier équivalait à une voie suicidaire. C'est pourquoi le sommet de demain menace de virer à la mise à plat. C'est-à-dire que Blair poursuive dans sa campagne lancée lundi à Moscou pour sauver le rabais de son pays en portant le fer contre les aides agricoles, dont la France bénéficie largement. « Vous ne pouvez pas discuter de l'existence du rabais britannique à moins de discuter de l'ensemble du financement de l'Union européenne, y compris du fait que 40% vont toujours à l'agriculture », a martelé Tony Blair. « Nous devons poser la question de savoir si, au début du XXIe siècle, un budget qui est formulé de cette façon est la réponse aux problèmes de l'Europe d'aujourd'hui. Je ne pense pas que ce soit le cas », a-t-il insisté. Réclamant des changements fondamentaux, le numéro un britannique a promis de se montrer « diplomatique mais ferme » lors de la réunion des dirigeants des 25, jeudi et vendredi. Sans surprise, l'ultime conclave des chefs de la diplomatie des 25 sur le budget n'a rien donné dimanche soir à Luxembourg. Si le ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, a décelé « une volonté générale de trouver un accord », son homologue allemand s'est montré beaucoup plus prudent. « C'est à la Présidence (luxembourgeoise) de décider s'il est réaliste de rechercher un accord maintenant, ou si nous nous en tenons à une solution intérimaire qu'il reviendra à la Présidence britannique de faire avancer », a déclaré lundi Joschka Fischer. A l'instar de M. Blair, le secrétaire au Foreign Office Jack Straw a renouvelé au Grand-Duché la menace d'un « veto » de son pays au sommet. La ristourne dont le Royaume-Uni bénéficie depuis 1984 sur sa contribution au budget européen est apparu une nouvelle fois comme la clé de la négociation. La « quasi-totalité » des Etats membres sont favorables à sa remise en cause, a affirmé la ministre française aux Affaires européennes, Catherine Colonna, réitérant la demande d'une « diminution, puis d'une disparition du rabais avec un calendrier ». La Présidence luxembourgeoise propose de geler le rabais britannique à 4,6 milliards d'euros en 2007, puis de le diminuer progressivement. Après le non à la Constitution en France et aux Pays-Bas, le nouveau chef de la diplomatie française, Philippe Douste-Blazy, a appelé à ne « pas rajouter à la crise politique, institutionnelle, une crise financière ». « Nous avons besoin d'un compromis et je l'ai dit à mon homologue Jack Straw avec qui je me suis entretenu », a-t-il affirmé. Il a cependant récusé l'idée que Paris puisse faire des concessions sur le front agricole. Un bien terrible aveu que vient de faire le chef de la diplomatie française, sans situer les origines de la crise, y compris dans le temps, car elle doit remonter à bien loin, comme l'ont relevé les opposants à la Constitution européenne qui s'affichent comme des Européens convaincus. La crise est donc multiple, et il faut bien cerner ses causes pour mieux les combattre. Mais là aussi, cela suppose des sacrifices, mais des barrières sont déjà mises en place comme cette menace de renoncer à l'euro et de ne pas voter le budget européen. Le signal est clair, et il met à l'étroit les dirigeants européens. Finie la magie des mots. Elle ne cache plus rien.