Jamais depuis son acte fondateur de 1957, l'UE n'a vécu d'aussi inquiétantes « turbulences » politiques. Aux désaveux des opinions publiques française et néerlandaise lors des référendums sur le projet constitutionnel, s'est ajouté, jeudi et vendredi, un dialogue de sourds entre les chefs d'etat et de gouvernement réunis en conseil à Bruxelles sur le budget de l'Union pour les sept années à venir, désigné sous le vocable « perspectives financières 2007-2013 ». Face aux craintes entretenues dans les opinions publiques par les discours des souverainistes et extrémistes de tous bords, les premiers responsables de l'UE ne sont pas arrivés à dépasser les égoïsmes nationaux, où le maître mot des débats n'a pu quitter la sphère des finances. Etrange situation au regard, justement, de l'aisance financière dans laquelle baigne l'Union ces dernières années et du taux de croissance moyen enregistré et prévu pour les années à venir. « Trop d'argent finit, souvent, par créer querelles et divorces », dit l'adage populaire. Et tous les arguments avancés pour expliquer l'échec politique du projet constitutionnel et les désaccords financiers, tels l'élargissement aux dix pays de l'est en 2004, l'arrivée en 2007 de la Roumanie et de la Bulgarie, les délocalisations industrielles, le chômage... ne peuvent suffire et justifier ce soudain regain de nationalisme et repli sur soi. Premier exemple, la Grande-Bretagne ne discutera la remise en cause du « rabais » financier, qui lui est accordé depuis 1984 sur sa contribution au budget de l'Union et qui est de l'ordre de 4,5 milliards d'euros, que si l'Union révise sa politique agricole commune (PAC) dont elle ne bénéficie pas. Or, il n'est pas question pour la France de remettre en cause la PAC dont elle tire 40% des subventions pour ses agriculteurs. L'Allemagne, premier contributeur au budget européen, pose ses contraintes sociales (chômage et services publics) et s'aligne sur la position de Paris. Les Pays-Bas désirent réduire leur contribution pour imiter les anglais. L'Italie ne veut pas entendre parler de réduction des aides régionales (fonds structurels) ni de contraintes sur les déficits publics limités à 3%. Enfin, les pays de l'ex-Europe de l'est, qui ont rejoint l'Union en mai 2004, n'acceptent pas de passer aux yeux des opinions européennes pour des charges financières et surtout une des raisons des échecs politiques nationales ou des crises sociales que vivent les anciens. Il est symptomatique de constater, en filigrane, dans certains discours politiques relayés par des médias dans les pays où les problèmes d'emploi sont aigus, des allusions aux aides à la coopération en direction des nouveaux pays qui ont rejoint l'Union ou les Etats tiers, comme la source de ces problèmes. La réalité des chiffres démontre autre chose. Les fonds sous la rubrique 4 et destinés à la préadhésion, la stabilité, la coopération au développement et coopération économique, à la politique de voisinage, à l'aide humanitaire partent de 6 milliards d'euros en 2007 à 8 en 2013. Ce qui équivaut à peine aux dépenses administratives, soit le budget de fonctionnement de l'UE, qui est fixé à 6 milliards pour 2007, et arrivera à plus de 7 en 2013. Autre remarque, le cadre des discussions présenté par la commission européenne au conseil européen ne mentionne nulle part les escomptes financiers gagnés sur le moyen et le long termes par les gros investissements suite, justement, à l'élargissement de l'Union. Enfin, est-il utile de signaler que les aides à la coopération sont dans une très grande mesure des prêts, avec souvent des taux d'intérêt appréciables pour les bailleurs ? Il faut peut-être en finir avec l'idée que les problèmes des Etats membres de l'UE tels le chômage, les délocalisations, la sécurité et autres problèmes sociaux sont directement proportionnels à l'aide (prêts) qu'ils accordent aux nouveaux membres de l'Union ou des Etats tiers, Face à ce contexte de crise politique de l'Union, le chef de groupe des partis libéraux au parlement européen a bien résumé la situation en déclarant : « L'Europe finance la politique du passé, alors qu'elle doit financer l'avenir. » autrement dit, l'Europe a peur de son propre avenir.