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mohamed-Seghir Kara. Ministre du Tourisme
Tourisme « Nous sommes sollicités par de grands investisseurs »
Publié dans El Watan le 14 - 08 - 2004

Mohamed-Seghir Kara, ministre du Tourisme, dresse sans complaisance un état des lieux d'un secteur qui peut être créateur d'emplois et de richesses au même titre que les hydrocarbures. Il reconnaît que les potentialités et les multiples opportunités ne sont pas exploitées comme il se doit à cause de l'absence de projets précis et d'une vision à long terme. Il diagnostique le mal et propose des remèdes.
Pouvez-vous nous faire un premier bilan de vos sorties sur le terrain ?
Les séries de visites que nous avons effectuées sur le terrain nous ont permis de constater que les problèmes concernant notre secteur sont identiques que ce soit à l'est ou à l'ouest du pays. Parmi les plus récurrents, il y a les multiples agressions que subissent les zones d'expansion touristique dues essentiellement à la politique du silence des anciens responsables qui sont directement ou indirectement complices de ces dépassements. Il a été remarqué également que des pseudo-investisseurs ont bénéficié de parcelles de terrain dans le cadre de l'investissement touristique et, qu'après cinq ou six ans rien n'a été fait, alors que le cahier des charges est explicite dans ce cas-là. D'autres les ont carrément détournées de leur vocation et ont construit des habitations qui servent à tout sauf à faire du tourisme. Nous avons constaté aussi que nombre de projets sont à l'arrêt, comme c'est le cas à Oran, où un soi-disant investisseur a accaparé un hectare en plein centre-ville et, malgré le recours à la justice, c'est le statu quo, alors qu'un autre investisseur a un projet de construction d'un hôtel et attend depuis quatre années. A Aïn Turk, la moitié d'un hôtel est bâtie sur le sable. Sur la côte oranaise, les constructions sont réalisées sans autorisation ni permis de construire depuis 1991. Le wali et les autorités locales confirment cet état de fait. Ce qui devait être des complexes touristiques de haut de gamme s'est avéré n'être que des épaves. En revanche, nous avons rencontré des investisseurs algériens très professionnels qui ont construit des ouvrages selon les normes internationales, ce qui honore le pays. Il y a également des investisseurs arabes qui ont clairement exprimé leur volonté et leur disponibilité à contribuer aux efforts de la concrétisation du plan de relance de notre tourisme.
Malgré la volonté politique pour le redressement du secteur, force est de constater que les zones touristiques sont détournées de leur vocation. Comment faire pour stopper le gâchis ?
Si le tourisme n'a jamais été une priorité pour les gouvernements successifs depuis l'indépendance, nous voulons maintenant changer les choses en faisant appel aux investisseurs et partenaires détenteurs de capitaux ou de savoir-faire et changer aussi les lois qui sont dépassées. Il est inadmissible que l'Agence nationale de développement touristique (ANDT), chargée de la gestion et du développement des quelque 174 ZET que compte le territoire, continue à débourser des millions au profit des bureaux d'études qui nous livrent des plans d'aménagement à imposer aux investisseurs. Ces derniers ont leurs propres plans et font généralement appel aux meilleures compétences dans ce domaine. Il est aussi impensable qu'une étude dure de trois à quatre ans dans un monde qui avance. Le rôle de l'ANDT doit être de délimiter les zones touristiques afin de les protéger des dépassements. Je dois ajouter que le tourisme est désormais considéré par les décideurs comme le levier privilégié pour faire sortir le pays de la crise actuelle. Je dois préciser que j'entends par investissement la concrétisation de grands projets qui cadrent avec nos ambitions et les potentialités de notre pays et non ces bidonvilles que nous voyons actuellement. Quant à ceux qui ont piétiné la loi, que chacun assume ses responsabilités. Allons-nous continuer à promulguer des lois sans les appliquer ?
Des lois et des textes d'application viendront mettre de l'ordre. Peut-on savoir quelles sont les nouveautés ?
Nous allons réhabiliter la fonction d'inspecteur. Les mentalités doivent changer. Si les lois ont été transgressées, c'est parce que les responsables et les élus locaux ont fermé les yeux. Il faut sanctionner d'abord les responsables qui ont trahi notre confiance avant d'arriver au simple citoyen. La loi est explicite : par exemple, celle qui fixe les règles générales d'utilisation et d'exploitation touristiques des plages affirme dans son article 5 que l'accès aux plages est gratuit. La gratuité de l'accès est clairement affichée sur des panneaux publicitaires installés par les services communaux à cette fin. Cependant, on demande aux estivants de payer. Dans ce cadre, la loi sur la concession du droit d'exploitation touristique d'une plage sera plus explicite : la nouveauté, c'est que le droit à la concession ne sera plus le monopole des APC. Les citoyens auront les mêmes droits et devoirs. La concession sera octroyée pour une durée de cinq ans et sera étalée sur toute l'année. C'est une manière de responsabiliser le concessionnaire par un cahier des charges à respecter à la lettre. Tout manquement entraînera automatiquement la résiliation du contrat. Cela diminuera aussi le phénomène d'extraction du sable, et là j'insiste pour dire que le rôle des inspecteurs est primordial.
Quels sont les projets en cours de réalisation ?
Nous avons remarqué avec regret que certains investisseurs, notamment arabes, rencontrent des blocages, alors qu'ils proposent d'investir des millions de dollars. L'un d'eux est originaire d'un pays du Golfe et a proposé un projet touristique à l'ouest d'Alger de 100 millions de dollars. L'investissement pourrait atteindre les 200 millions de dollars. Il y a d'autres investisseurs d'Arabie Saoudite, du Qatar, des Emirats arabes unis. Nous sommes en contact permanent avec des ambassadeurs et des hommes d'affaires qui ont d'excellentes idées. Théoriquement, il y a des projets de Zemmouri, à Tipaza, qui débuteront au dernier semestre de l'année prochaine. C'est pour cette raison que nous avons donné des instructions fermes aux responsables pour que cesse le bricolage et qu'on éloigne les pseudo-investisseurs et les parasitaires du secteur. Nous sommes en relation avec de grands investisseurs qui, à leur tour, sont en contact avec de grandes firmes qui ont de l'expérience et une grande culture dans l'activité touristique (restauration, hébergement, marketing). Ils envisagent de bâtir une sorte de ville où le touriste aura toutes les commodités en plus de la thalassothérapie. Ils sont intéressés par la construction de futurs ports de plaisance. Il s'agit d'un marché en plein essor. Pour pénétrer cette niche de marché, ils misent sur des sites exceptionnels, un plateau technique de qualité ou encore des offres de services diversifiées. Ils savent qu'ils sont confrontés à une rude concurrence, et que l'Algérie est un pays méditerranéen, une destination privilégiée pour les touristes du monde entier. Le tourisme algérien doit mettre à profit l'arrivée à saturation de certaines zones comme les complexes tunisiens de Hammamet et de Djerba ou certains sites égyptiens pour glaner une part du marché. Nous allons étudier toutes les offres en position de force, car nous sommes conscients que nous avons entre nos mains une richesse inestimable.
Les travailleurs et gérants des entreprises de gestion touristiques redoutent le choix de la privatisation. Comment dissiper les craintes ?
Les vrais professionnels n'ont pas peur de la concurrence. En tout cas, il n'est pas question que l'Etat gère des hôtels. Concernant les hôtels en voie de privatisation, j'ai signalé aux responsables qu'en ce qui me concerne, je ne donnerai aucun centime, et les réformes dans ce secteur suivent leur cours. Nous voulons créer un modèle en lançant des projets viables. Et pour réussir, il faut alléger les contraintes, lever les obstacles, changer les mentalités des employeurs, revoir les lois et mettre fin aux infractions.
Le tourisme ne peut décoller sans l'implication des autres secteurs. Avez-vous entrepris des démarches dans ce sens ?
J'ai entamé des contacts avec les autres ministères et structures (Transport, Intérieur, Finances, Agriculture et domaines) pour coordonner nos actions et étudier les moyens de relancer le tourisme, car sans intersectorialité, le pari sera difficile à gagner.
Quels sont les projets prioritaires ? Le tourisme ne risque-t-il pas de retomber dans les solutions de replâtrage ?
Parmi les projets à concrétiser à notre niveau figure l'organisation du premier festival du tourisme saharien qui aura lieu la dernière semaine du mois de décembre. C'est une manière d'instaurer une tradition, celle de la célébration des festivités de l'ouverture de la saison touristique au Sahara. Nous allons former un comité composé d'opérateurs et de hauts responsables d'entreprises économiques pour les impliquer dans ce projet. Nous sommes à la recherche de sponsoring, et de grands opérateurs arabes nous ont assurés qu'ils donneront leur appui à cette manifestation qui se déroulera sous des tentes. Nous allons aussi essayer de convaincre les chaînes satellitaires pour retransmettre en direct l'événement. Nous allons tenter également de reprendre le rallye Paris-Alger-Dakar. Les démarches sont déjà entamées. Nous pensons à un jumelage avec les festivals les plus connus tels que celui de Carthage, qui constituent des attractions touristiques. Nous allons également revoir le mode de fonctionnement de certaines agences de voyages fantoches qui se limitent à faire de la billetterie. Concernant le pèlerinage, nous allons encourager les plus sérieuses et celles qui font du réceptif. Le dernier mot nous reviendra après consultation de l'ONAT et du TCA. Je reste optimiste quant au développement du secteur et j'adresse une invitation expresse aux opérateurs et partenaires de l'ensemble des secteurs afin de faire du tourisme un des principaux leviers de l'économie nationale.


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