Les habitants de Takhmaret, une localité distante de 100 km à l'extrême ouest du chef-lieu de wilaya Tiaret, semblent prendre le relais d'une contestation populaire toujours latente. Avant-hier soir, vers 23h, des centaines de manifestants, la plupart des gens de Tazeka, à la sortie est du village, ont saccagé et incendié le siège de l'APC, pillé le CEM Djellaïlia avec tentative de prendre d'assaut le siège de la BADR après avoir barricadé la principale voie d'accès (la RN14) qui donne sur la wilaya de Mascara. « Les protestataires qui m'avaient promis d'ouvrir la route à 18h, nous dira M. Kaoubaâ, le président de l'APC, sont revenus à la charge une heure plus tard en forçant le portail du siège de l'APC sous les cris d'Allahou akbar. » Le bilan est plus ou moins lourd, avons-nous constaté hier vers 15h. L'odeur du brûlé enveloppait les lieux où des ouvriers s'affairaient à enlever débris de verre, barres de fer, pierres et autres équipements calcinés. Le président de l'APC, appelé à la rescousse quelques minutes plus tard, après avoir brossé un résumé de la situation, dira avoir attrapé l'un des protestataires pour le remettre aux gendarmes. Celui-ci, Zine Kamel, père de famille, était en effet détenu par des éléments de la brigade de la Gendarmerie nationale, car il venait de dénoncer, nous dira le président de l'APC, pas moins de 24 de ses complices. Voulant connaître les causes d'un tel dérapage, notre interlocuteur dira : « Cela sent la manipulation, car le problème d'eau évoqué par les protestataires n'est qu'un prétexte. » Alors pourquoi cette émeute ? rétorquons-nous. Le président de l'APC resta évasif bien que dans le quartier en question, un no man's land qui ne dispose même pas de voie d'accès, la colère reste justifiée uniquement par l'absence d'eau. « On nous coupe l'eau depuis dix jours au profit d'une certaine caste qui a pris son envol à la faveur des milliards du FNRDA. » Crescendo, le petit groupe avec lequel on discutait a vite fait de grossir. « Regardez cette fontaine ! Asséchée depuis dix jours, elle coule comme par miracle avec votre visite. » Est-ce fortuit ? Y a-t-il une explication ? Le subdivisionnaire qui nous suivait s'interposa et nous fit savoir que pour Tazeka « le problème sera réglé avec le raccordement très prochainement avec le nouveau réseau réalisé et qui est entré en fonction ». Notre virée sur les lieux a fait délier les langues et chacun tentait d'expliquer ce mal-vivre, cette marginalisation et autres fléaux dans une région qui affiche pourtant une santé économique resplendissante à voir les milliers d'hectares de vergers de par et d'autre de la RN14. « Détrompez-vous ! Cela ne profite qu'à une poignée de maffiosi. Ici, c'est le règne des "degagat", ces sondes à percussion pour le forage des puits qui ont fait couler beaucoup d'encre. » A Takhmaret prospère une filière de Kurdes syriens devenus les alliés objectifs de petits nababs. Même le président de l'APC, un ancien entrepreneur, posséderait sa « degaga ». Au-delà des explications laborieuses développées ici et là, il y a une certitude : le gâchis est réel. Et rien ne pouvait le justifier, encore moins le perpétuer avec cette grogne citoyenne. Hier, Takhmaret donnait l'impression d'un village tranquille même si dans les dédales de Tazeka la colère sourde des jeunes semble couver. « Si Kamel n'est pas rendu à sa famille, cela risque de dégénérer », s'entend-on dire. Officiellement, nous apprenons que 24 personnes vont devoir répondre de leurs actes devant la justice. Cela suffira-t-il à rendre son calme à cette bourgade, la énième du genre qui se rebelle ? Attendons pour voir.