« La réconciliation nationale irrite des gens à l'intérieur du pouvoir : ceux qui font dans le trabendo, dans la drogue, ceux qui ont spolié le pouvoir. Ils veulent que la situation reste en l'état, car cela arrange leur business », a déclaré le président Abdelaziz Bouteflika jeudi dernier au stade olympique Mohamed Boumezrag de Chlef, du plus profond de la plaie algérienne, devant des délégations venues de Tiaret, Aïn Defla, Tissemsilt, Relizane et Médéa. « C'est pour cela que je vous demande de participer massivement et efficacement », a appelé le chef de l'Etat en campagne pour le « oui » au référendum du 29 septembre prochain sur le « projet de charte pour la paix et la réconciliation ». Fort de sa légitimité de Président élu, Bouteflika ne peut-il pas présenter à la justice ceux qu'il a vaguement désignés ? « Nous connaissons bien les problèmes de l'Etat. Rien ne peut les régler à part le courage », a-t-il dit sans préciser davantage sa pensée. Autre observation : il n'est pas revenu sur les résistances des corps constitués à la « réconciliation » que le Président a évoquées, tout aussi vaguement, dans son discours à Béchar. « Des voix prétendent qu'il y a ruse, qu'il y a marché. Si je voulais réaliser l'affaire du siècle, j'aurais pu faire l'amnistie générale et le peuple répondrait oui ou non. Mais je n'ai pas posé la question ainsi. Peu de gens ont conscience de ce que sont l'amnistie générale et ses conséquences juridiques, politiques, économiques et culturelles. Mais cette minorité qui sait ne peut gouverner au nom de la majorité », a lancé Bouteflika qui semble esquisser une continuation dans le processus de « réconciliation ». « Il fallait consulter le peuple sur des points précis, le traitement vient graduellement », a-t-il ajouté. Justifie-t-il son recul par rapport au projet d'amnistie générale qu'il a lancé en octobre 2004 ? Prépare-t-il l'opinion à de nouvelles étapes ? Il a réitéré son refus de « revenir à 1990 ». Sans préciser qui seraient les auteurs de cette revendication. « Est-ce qu'un sage peut demander à Bush de revenir au 10 septembre 2001 ? Peut-on demander au gouvernement espagnol de revenir à sa politique d'avant les événements de mars ? Peut-on demandé à Blair de revenir à la politique d'avant les massacres de Londres ? », a-t-il enchaîné avant de lancer à un interlocuteur anonyme : « Tu veux que nous revenions à 1990 ? Tu nous renvoies à l'Assemblée de 1990 ? Tu veux que nous sanctionnions ceux qui ont stoppé cette Assemblée ? » Pourtant, Bouteflika a ajouté que si « le peuple a de la clémence et avec du courage, on peut pardonner. Mais on ne peut oublier les dizaines de milliers de morts ». Le Président a indiqué qu'il aurait pu se passer du référendum puisque « le Parlement a adopté le programme du gouvernement qui englobe la réconciliation ». « Donc, le Parlement a adopté la réconciliation », a-t-il conclu. « J'aurais pu agir seul fort des 85% d'avril 2004 et de la volonté du peuple. Peut-être que le peuple m'a donné ces 85% pour des raisons que j'ignore, peut-être est-ce la volonté de Dieu. Mais maintenant je vous soumets cela (Bouteflika a brandi une copie de la « charte ») et si quelqu'un est contre, qu'il le dise le 29 septembre en toute liberté », a-t-il lancé. De derrière une pancarte « Sidi Abderahmane, wilaya de Tiaret », un jeune a crié au Président, en désignant les dignitaires locaux, ministres, hauts officiers aux premiers rangs : « Voilà les voleurs, la corruption, la hogra ! » « Tu es un ogre ! Un fléau ! Et un ogre plus grand que toi viendra te manger. Nous, on est venu faire la paix. Pour la hogra, chaque chose en son temps ! », lui a rétorqué le Président qui a ensuite appelé les jeunes à « sortir de leur ivresse, à sortir de la drogue, du tchalwich (manœuvres) et du tbezniss ». « L'Algérie a réalisé depuis cinq ans 20% de son développement depuis l'indépendance. Si on vote pour la réconciliation, nous doublerons ce résultat », a dit le Président qui a demandé pardon aux repentis issus de la loi sur la concorde civile dont la situation sociale et administrative n'a pas été régularisée. Il a menacé l'administration en cas de blocage de ces régularisations. Il a reproché aux habitants de Chlef de ne pas avoir « défendu leur pays ». « Vous à Chlef, vous les avez vus devant vos yeux, vous n'avez pas informé l'armée et la police ! Je vous le dis franchement », a lancé le Président. Il a évoqué en début de discours les harkis, Belhadj Kobus et Belounis (l'un avait formé dans la région une sorte d'ALN-bis, l'autre du MNA activait plus à l'Est et au Sud pendant la guerre de Libération) affirmant que leurs enfants « ne sont pas responsables des actes de leur père ». « Ils peuvent prétendre devenir Algériens à part entière sur la base de l'égalité des droits et devoirs. Jamais nous n'avons mal parlé de ceux qu'on appelle harkis sauf dans le cadre de la loi », a-t-il déclaré assurant que la « page est tournée ». Pas un mot sur le traité d'amitié avec Paris. Bouteflika a terminé son discours en regagnant les premiers rangs pour initier une chaîne humaine. A sa droite, il a tenu par la main le président de l'APW, à gauche, Driss Zitouf, chef Patriote et député RND. « Votez massivement pour carboniser les ennemis de la réconciliation », lisait-on sur une banderole portant la signature de la commune de Krimiya. Abdelaziz Bouteflika animera un meeting ce dimanche à Ouargla.