Plus de quarante-huit heures après la proclamation des résultats du référendum par son ministre de l'Intérieur, le président de la République n'a toujours pas fait de déclaration au peuple et a choisi plutôt de s'exprimer devant le Conseil des ministres aujourd'hui. Etonnant non ? D'autant qu'il s'agit d'une consultation électorale qui n'a souffert d'aucun recours auprès du Conseil constitutionnel, ce qui aurait pu, dans ce cas, expliquer que le président de la République attend le verdict de l'institution nouvellement présidée par Boualem Bessaih. Une attitude encore plus énigmatique quand on sait « toute la peine » que s'est donnée le chef de l'Etat depuis l'annonce faite le 14 août dernier de consulter le peuple à propos de la charte pour la paix et la réconciliation. Ce qui commence pas moins à susciter d'ores et déjà des interrogations. Tant de moyens déployés, la radio et la télévision autour d'un discours présidentiel relayé par des personnalités de la coalition présidentielle, une campagne électorale menée « tambour battant » par le chef de l'Etat lui-même dans laquelle il n'y avait nulle place à tout autre point de vue opposé tant dans la forme que dans le fond à la démarche présidentielle. Et dans laquelle toute opposition était gommée, y compris celle que l'on pourrait qualifier de palais puisque aussi bien des leaders islamistes comme Soltani ou Djaballah et d'autres partis, par ailleurs traditionnellement divergents sur d'autres questions avec le président de la République, se sont alignés cette fois derrière lui. Une attitude encore plus énigmatique que le score officiel proclamé par le Conseil constitutionnel a été revu à la hausse et sans appel de 97,38% et une participation de plus de 79% officiellement inégalée, selon les propos de Yazid Zerhouni, depuis le référendum du 2 juillet 1962 portant sur l'indépendance. Une comparaison qui n'a malheureusement pas lieu d'être puisqu'il faut se rendre à l'évidence que ce fût le premier référendum et sans doute le seul depuis à ne pas avoir été trafiqué, en d'autres termes transparent et reflétant sans aucun doute l'aspiration du peuple algérien à vivre libre. Les observateurs avertis et les Algériens les moins avertis ne manqueront pas sans doute de faire remarquer qu'après ce référendum-plébiscite, Abdelaziz Bouteflika aura obtenu ce qu'il voulait avant et depuis un certain temps déjà : les pleins pouvoirs pour « rétablir la paix et procéder à la réconciliation entre les Algériens ». Les pleins pouvoirs dévolus par le peuple, un peu à la manière du général de Gaulle quand celui-ci les obtint pour « régler la crise algérienne », serions-nous tentés de faire dans les comparaisons qui ne sont pas à propos. Les Algériens s'attendaient sans doute à un message à la nation dans lequel le chef de l'Etat remercierait ceux qui ont placé leur confiance en lui et l'ont « mandaté pour prendre toutes les mesures pour concrétiser les dispositions contenues » dans la charte, comme le précise le texte soumis aux Algériens dans sa dernière ligne. Non, jusqu'à présent, pas la moindre déclaration à la télévision dont il a pourtant monopolisé le prime time du 20 heures, durant plusieurs semaines, tout au long de discours dans lesquels il n'a pas manqué de tancer les populations de Kabylie en martelant que tamazight ne sera pas de sitôt langue officielle, de ridiculiser à partir d'Oran les Mascaréens qualifiés de « ahl noukout » - de blagueurs en d'autres termes, ce qui a déplu aux habitants de Mascara et on les comprend. De fustiger la France officielle depuis Batna et à laquelle il demande la repentance pour toutes les exactions commises par la colonisation française en Algérie. Les Algériens auraient, en effet, aimé savoir au lendemain de la « consultation décisive pour l'avenir » à laquelle ils avaient été appelés à participer le 29 septembre dernier, quels enseignements il en tirait et quels seraient les prochaines étapes de ce rétablissement de la paix et de la réconciliation. Rien de tout cela alors que les scores annoncés par Yazid Zerhouni et confortés par Boualem Bessaieh tenteraient de faire croire que Abdelaziz Bouteflika aurait de quoi être largement satisfait pour avoir obtenu ce qu'il voulait et surtout la « confirmation », une fois de plus, qu'il n'était pas un Président aux trois quarts, comme il se plaisait à le répéter en 1999 lorsqu'il avait été élu la première fois à la magistrature suprême. Et surtout enfin que depuis le 29 septembre, fort du mandat-plébiscite remis par le peuple il pourrait enfin s'atteler à concrétiser son projet quitte à se passer d'institutions élues comme l'APN. Devant autant de questions on ne peut s'empêcher d'émettre des doutes à propos des résultats du référendum, peut-être qu'ils n'ont pas été ceux annoncés surtout au plan de la participation, comme le laissent entendre certains. Et dans ce cas, on comprendrait alors les raisons de la gêne. Le saurons-nous un jour ? Tant pis si cette fois-ci les Algériens sollicités de pardonner, de tourner la page, etc. se sentent, une fois de plus, quelque part méprisés.