Le projet de réconciliation nationale et d'amnistie fait-il l'objet d'un combat à fleurets mouchetés entre deux tendances majeures du pouvoir? Qui affronte qui? Il ne faut pas être un observateur sagace de la vie politique nationale pour comprendre que ce colis n'est pas près d'être emballé et vendu, comme ce fut jadis celui de la concorde civile. Le challenge de Bouteflika pour achever son plan de paix, initié dès son arrivée au pouvoir en 1999, risque de se heurter, cette fois-ci, à plusieurs facteurs de résistance sur la scène nationale d'abord, mais aussi au rejet par nos principaux partenaires dans le monde, qui sont engagés dans la lutte antiterroriste, à l'exemple des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France. Ce sont des jusqu'au-boutistes. Beaucoup d'observateurs sont aujourd'hui frileux à l'idée même d'effacer l'ardoise, aussi légère ou aussi lourde soit-elle, de tous ceux qui avaient mis à feu et à sang l'Algérie. Le président américain, qui s'est publiquement engagé, une nouvelle fois, après les attentats de Londres, à extirper le mal, est aujourd'hui le champion des éradicateurs. «La seule négociation avec eux, est-il tenté de dire, c'est la guerre.» La planète entière est décidée à en découdre avec l'organisation Al Qaîda et ses relais dans le monde. Nous sommes en 2005. Nous ne sommes plus en 1999, année qui avait vu les pays occidentaux, dont les Etats-Unis, soutenir le projet de paix du président Bouteflika. L'attentat du 11 septembre 2001 a accouché d'une nouvelle perception du phénomène de la violence terroriste. Ne l'a-t-on pas vu avec la Croisade de Bush contre les talibans en Afghanistan? On l'a revu en Irak avec la recomposition du champ géostratégique du monde qui se fait désormais selon la méthode des «néocons», ces faucons américains. Pardonner au terroriste est perçu par certains dirigeants comme semblable à lui signer un chèque en blanc. C'est un saut dans l'inconnu parce que ce pardon et cette magnanimité du pouvoir vis-à-vis de ses «enfants égarés» risqueraient à tous les coups d'être interprétés comme un geste de faiblesse, d'incapacité d'un Etat à maintenir l'ordre public et à faire respecter la loi. Le recours à la repentance, au pardon, pourrait vite se transformer en culture politique, en mode de gestion des crises qui malmènent çà et là dans le monde des nations en proie à la fièvre intégriste. Un ambassadeur d'un pays occidental à Alger a fait montre, il y a quelques semaines, à cinq directeurs de journaux (les principaux), de son scepticisme sur d'éventuelles chances pour l'Algérie de réussir un pari aussi difficile que celui de la réconciliation et de l'amnistie. Le pari est d'autant plus difficile pour la réconciliation puisqu'elle engloberait plus de quarante ans de conflits depuis l'indépendance. Les services de renseignements occidentaux comme la CIA, la Dgse et le MI 5 sont conscients qu'une bonne partie des repentis serviraient toujours de relais et de réseaux dormants pour Al Qaîda et son affidé le Gspc. Le ministre français de l'Intérieur, M.Sarkozy, a déclaré, sans ambages, cette semaine, que sa police craignait des attentats de la part des terroristes algériens. Mais pardonner ou ne pas pardonner doit rester une affaire purement algérienne. De souveraineté nationale. Le président Bouteflika a recours à un référendum. Le dernier mot reviendra au peuple. Mais si ce scénario, tel qu'il est monté, échappe à son metteur en scène, qu'adviendra-t-il si les Algériens rejettent l'idée même de pardonner à ceux qu'ils considèrent comme étant toujours des assassins? Quelle serait alors la position d'un président de la République qui n'a pas fini d'engranger les succès, face à une telle déconvenue? Des organisations internationales s'opposent déjà à cette démarche en arguant le fait que l'on n'a pas le droit de pardonner avant de juger. Pour nous Algériens, c'est du déjà entendu. Une vieille rengaine qui n'a pas fait recette. En gros ou dans le détail, ce projet d'amnistie ressemblerait à peu de choses près à cette marchandise dite «du tout-venant» que l'on s'empresserait de brader parce qu'elle ne trouverait pas souvent preneurs. En 1999, le peuple algérien a béni le projet de Bouteflika. Près de 6000 hommes armés, en majorité appartenant à l'AIS, ont accepté de déposer les armes. De l'avis de gens avertis, il ne resterait plus aujourd'hui que 600 éléments armés pour la plupart sous l'étiquette du Gspc. Au moins 80% d'entre eux étaient déjà au maquis avant la concorde civile. Ce sont les soldats perdus du djihad. Des desperados. Un référendum ou deux ne changeraient rien à leur comportement, pensent certains. Alors, pourquoi ce référendum? Et maintenant? Deux questions qui soulèvent déjà le débat, avant l'heure, sur une échéance politique capable de nous réserver toutes les surprises, à commencer par la sortie du directeur de la Sûreté nationale, M.Ali Tounsi, qui affirme que des repentis se sont recyclés dans le grand banditisme. Ce lapin directement sorti du chapeau du premier policier d'Algérie ne relève en tout cas pas de la prestidigitation politique. Pour preuve, quarante-huit heures après, la police organise une conférence de presse pour annoncer l'arrestation d'une bande de malfaiteurs comprenant en son sein deux ex-repentis, dont le chef en fuite est un ancien émir. Conclusion évidente, il y a de la suite dans les idées. Le patron de la police est un professionnel et un homme sérieux. Sa compétence ne fait pas de doute. Mais pourquoi a-t-il choisi de dire maintenant tout haut, ce que certains dirigeants du pays pensent tout bas? C'est peut-être là que réside tout le secret de la teneur que nous réserve ce prochain référendum..