Présentée comme la panacée ou la solution miracle à la violence qui gangrène l'Irak, la future constitution irakienne, qui sera soumise à référendum dimanche prochain, est d'abord celle de la discorde. Chacun, autant dire chaque communauté, y voit un moyen d'accéder au pouvoir, à tel point que les alliances n'ont pas résisté. Ce sont tout au plus des marchés de chefs qui ne durent qu'un temps. Pour preuve, les coups de colère répétés des chefs kurdes et leurs multiples mises en garde contre le Premier ministre et les leaders chiites accusés de vouloir accaparer le pouvoir. Il est vrai que dans le nouvel Irak, la fonction de chef de l'Etat occupée actuellement par le Kurde Jalal Talabani, n'est pas ce qu'elle était. C'est un poste honorifique. Quant à la communauté sunnite, minoritaire du point de vue démographique, elle entend jouer le nombre pour faire échec à la nouvelle constitution. C'est le grand débat avec des réponses presque aussi immédiates. Entre autres, celle qui consiste à indiquer que l'Irak tomberait dans un « chaos total » et l'anarchie si la nouvelle constitution était rejetée par le référendum du 15 octobre. Tels sont les propos du ministre irakien des Affaires étrangères, Hoshyar Zebari, ajoutant que « si la constitution est approuvée, nous pourrons avoir des élections en décembre et élire un gouvernement qui représente pleinement le peuple irakien ». « L'alternative est le chaos total », a dit le chef de la diplomatie irakienne. Selon M. Zebari, la mise en œuvre de la Constitution permettrait aux forces de la coalition, placées sous commandement américain depuis l'invasion de l'Irak en mars 2003, de commencer à planifier leur éventuel retrait. « Le nouveau gouvernement sera en bien meilleure position pour vaincre la rébellion qui est encore orchestrée principalement par les nostalgiques du parti Baâth de l'ancien régime », selon le ministre. « Mais avec une nouvelle constitution et un nouveau gouvernement, tous les Irakiens devront réévaluer leurs relations avec le gouvernement. Personne ne pourra plus mettre en question sa légitimité à l'avenir », a estimé M. Zebari. De tels propos apparaissent comme une réponse aux 21 organisations sunnites qui ont appelé samedi les électeurs à rejeter le projet de constitution, affirmant à leur tour qu'il menace l'unité du pays. « Cette Constitution porte en elle les germes d'une division de l'Irak, de la perte de son identité arabe et de la spoliation de ses richesses nationales », ont souligné ces organisations, dont l'influent Comité des ouléma musulmans, la principale organisation de religieux sunnites, et le Parti islamique irakien, la grande formation politique de cette communauté. « En conséquence, nous appelons l'ensemble des Irakiens à rejeter cette constitution par tous les moyens légitimes », ont indiqué ces organisations dans un communiqué. Parmi les participants à la réunion figuraient des représentants du Conseil du dialogue national de Salah Motlaq, qui a été membre avec d'autres sunnites du comité de rédaction de la constitution, dominé par les chiites et les Kurdes. Il y a tenté, en vain, d'empêcher que le projet consacre le caractère fédéral de l'Etat. Les sunnites craignent en effet qu'un Etat fédéral marginalise leur communauté, en donnant une trop grande autonomie aux chiites au Sud et aux Kurdes au Nord, qui habitent des régions riches en pétrole. Le Haut-Comité pour la Dawa, Al Irchad et Al Fatwa, un groupe sunnite fondamentaliste, également présent, a appelé séparément à voter non lors du référendum et s'est dit opposé aux appels de l'homme d'Al Qaîda en Irak, le Jordanien Abou Moussab Al Zarqaoui, à une « guerre totale » contre les chiites. « Nous rejetons la constitution parce qu'elle ne réalise pas l'égalité entre les Irakiens », a déclaré à la presse un chef du groupe, cheikh Zakaria Tamimi. « C'est une constitution de discorde et nous avons émis une fetwa (avis religieux) pour appeler à voter non » à ce texte, a ajouté cheikh Tamimi, dont le groupe fait partie de la mouvance salafiste. Son organisation, se réclamant d'un islam sunnite pur et dur, a été fondée après la chute du régime de Saddam Hussein en avril 2003. Elle a été en conflit permanent avec les forces américaines qui détiennent depuis près d'un an son chef, cheikh Mehdi Al Soumaiday, et qui ont perquisitionné à plusieurs reprises son siège, la mosquée Oum Al Touboul, dans l'ouest de Baghdad. A l'approche du vote, rappelle-t-on et pour éviter tout rejet, le Parlement irakien avait adopté une interprétation différente du projet qui rendait quasiment impossible le rejet du texte, ce qui avait provoqué les réactions critiques des Nations unies notamment. Le changement a été retiré. « Nous avons exprimé nos vues et nos préoccupations aux autorités irakiennes », a déclaré mardi Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, ajoutant que « le processus n'est pas conforme aux normes internationales ». Un responsable de l'ONU à Baghdad a estimé pour sa part qu'un rejet du texte par les sunnites devenait « quasiment impossible ». La deuxième modification adoptée trois jours plus tard stipule que la constitution sera adoptée si une majorité de « votants » s'expriment en faveur du texte, et si deux tiers des « votants » d'au moins trois provinces ne se prononcent pas contre. Celle adoptée antérieurement stipulait que les « inscrits » seraient pris en compte pour le vote contre, ce qui constituait un seuil inaccessible. Or, les sunnites tablent sur leur présence majoritaire dans au moins trois provinces (Ninive, Anbar et Salah Eddin) pour défaire le texte. Chiites et Kurdes sont largement favorables au projet de Constitution, qui établit un Etat fédéral et donne des pouvoirs très étendus aux régions, notamment sur la gestion des ressources pétrolières. Salah Motlak s'est félicité de ce second vote. « C'est une bonne décision car les modifications n'étaient pas correctes », a-t-il dit. « Malheureusement, les députés ont envoyé le mauvais message (aux électeurs) en essayant de tricher sur le texte », a-t-il insisté. Mais certains députés chiites n'ont pas accepté les pressions de l'ONU pour équilibrer la loi fondamentale. « On ne peut pas plier à la volonté des Nations unies, c'est très dangereux », a lancé Sami Al Askari, un membre de l'Alliance chiite, le premier groupe parlementaire à la chambre. Une autre député influente de l'Alliance, Maryam Al Rayes, se référant implicitement aux sunnites, a justifié le durcissement des conditions de rejet du texte, en affirmant qu'« on ne peut pas accepter qu'une minorité détruise la volonté de la majorité ».