Mustapha Skandrani, le virtuose du piano, nous a quittés. Il a tiré sa révérence en ce Ramadhan, après une carrière bien remplie. Dirigeant les orchestres nationaux chaâbi et andalou jusqu'à sa retraite, il aura été l'une des figures les plus marquantes de la musique populaire algérienne. C'est celui qui, grâce à la magie de ses doigts, a réussi à donner à sa passion artistique une dimension exceptionnelle. Le nom de Skandrani est cependant intimement lié à la fabuleuse aventure qu'a connue le chaâbi sous l'impulsion d'El Anka. Tous les grands interprètes de la chanson puisée du terroir, et qui sont devenus par la suite de grands maîtres, ont été accompagnés par lui. C'est dire la richesse du potentiel artistique qu'il a côtoyé, et même formé, et qui a été transmise à plusieurs générations de mélomanes. Skandrani, c'est incontestablement un monument du patrimoine musical national qui s'en va. Sa disparition nous rappelle toutefois que nos artistes, après avoir tellement contribué - consacré toute leur vie - à préserver l'authenticité de la culture algérienne, à entretenir aussi son prestige, disent adieu à la scène dans un anonymat affligeant. Ils partent sur la pointe des pieds, s'éteignent comme des ombres fatiguées de ne plus représenter grand-chose dans un monde où la notion de l'art n'a plus aucun sens. Leurs œuvres parleront pour eux pour l'éternité, mais le drame, ce n'est pas tant qu'ils aient été victimes d'ingratitude, c'est d'assister, avant leur départ définitif, à une cruelle dégradation des mœurs culturelles où le talent véritable est remplacé par du toc. C'est une lapalissade de dire qu'en Algérie la valeur d'un artiste n'a pas de prix. En fait, il faut prendre la formule au premier degré, sinon comment expliquer que toutes les célébrités algériennes qui ont atteint un niveau international appréciable sont davantage considérées à l'étranger que dans leur propre pays. Ce constat n'est pas nouveau. Il est bon de le rappeler pour dire toute la détresse et l'indigence qui caractérisent le milieu artistique où les carrières sont désormais préfabriquées. Il est utile aussi de revenir sur le mépris affiché par les pouvoirs publics envers nos talents qui ne demandent pourtant qu'une attention proportionnelle à leur mérite. L'exemple de l'écrivain Yasmina Khadra est très révélateur à ce sujet quand il affirme qu'il a été « primé partout, y compris au Koweït, mais pas chez moi ». Il précise : « L'écrivain est mal aimé chez nous, le livre est disqualifié, les éditeurs sont mal lotis. » Il n'a pas tort puisqu'il vit dans sa chair la triste réalité de l'écriture et, partant, de la notoriété. Il n'est pas le seul dans cette galère.