au sujet du khalifat, une implacable lutte politique opposa les légitimistes hachemite aux prétendants seigneurs qoraïchite (« les Othmanites »). Un troisième courant orthodoxe - neutraliste - né sous les Omeyyades, se développera jusqu'à maturité sous les Abbassides pour finir par se corrompre sous les Ottomans et disparaître enfin. Le soufisme apparut vers le milieu du VIIIe siècle avec Hassan El Basri (une version originale du soufisme de néantisation dans le dénuement et la dévotion à Allah). Ce soufisme existera comme mouvement très marginal jusqu'à la fin de ce même VIIIe siècle. Puis un autre soufisme comme recherche de néantisation amoureuse sera initié par une femme anachorète, Rab'a El Adawiyya. A cette néantisation par posture avaient souscrit bien des mystiques comme El Farabi (« faqir » par choix délibéré) ou comme mendiant tel Abou Median El Ghouti de Tlemcen, ou savant par vocation comme Ibn Arabi El Andaloussi, ou philosophe par destination comme El Ghazali Abou Hamed, ou dissident par conviction comme Chihabouddine Sohrawardi ou martyr comme Mohamed Ibn Abd El Haq Ibn Sab'in ou enfin Ibn Rochd comme jurisconsulte émérite. Ce mysticisme de posture refuse catégoriquement toute prophétologie comme il refuse aussi l'imamat chiite et le mahdisme kharijite ou zaydite. Cette mission divine bien spécifique viserait selon ces mystiques et selon leurs convictions trois actantialités bien précises qu'il n'était donné à aucun mortel de prendre en charge, à savoir transmettre un message sacré divin et objectif, promulguer une loi fondamentale régissante et enfin fonder une communauté. Au regard de ces actantialités spécifiques et pour n'avoir ni à la transgresser ni à la détourner, les soufis de la posture (ashab al maqâm) s'étaient dévolu des rôles à cultiver la spiritualité et à concentrer tous leurs efforts en ce bas monde pour atteindre à un idéal de perfection soit par des épreuves de souffrance (torture du corps) soit par aspiration spirituelle (élévation de l'âme). Ce noble soufisme a constitué une opposition radicale aux califats (omeyyade, abbasside, fatimide puis ottoman) puis aux multiples sultanats contribules. La ferveur ascétique ou l'ardeur amoureuse permirent aux intellectuels intègres de ces époques de cultiver un fort sentiment d'autonomie et d'indépendance vis-à-vis du pouvoir (El Djahedh refusera un secrétariat d'Etat, El Farabi repoussera les libéralités de Seif Ed Dawla, Er Rawandi et Es Sarakhsi - les deux disciples d'El Kindi de même que son ami le fabuliste Ibn El Mouqafaâ furent exécutés suite à une fetwa sur commande). Sohrawardi Shihabouddine Yahia sera, quant à lui, torturé et incinéré et ses cendres dispersées. Il n'avait que 34 ans. En extrême Occident, enfin, Ibn Rochd soumis au superstitieux inquisiteur l'almohade Abou Yacoub, ne doit son salut qu'à une espèce de repentance comme le fera Galilée plus tard. Ses livres seront toutefois brûlés sur la place de l'université de Séville. Ces anachorètes soufis, philosophes libertaires ou jurisconsultes intègres et indépendants développeront une véritable pensée autonome et une philosophie radicale qui puisent leurs arguments dans les disciplines de la tradition démocratique ou dans celles de l'éthique aristocratique. Ils puiseront la force de conviction et de détermination d'une part dans la morale du dénuement (refus de toutes faveurs et souverain mépris des menaces de répression du souverain). C'est ce qui explique que ce qui caractérise ce mouvement spirituel c'est la liberté, l'autonomie et l'indépendance par rapport au pouvoir temporel, politique et au pouvoir spirituel des inquisiteurs de service par le seul fait de ne reconnaître de soumission qu'à Allah Seul. Ces philosophes réfutaient au pouvoir politique tout exercice immoral de la gestion des affaires publiques et tout recours à toute forme de violence contre les administrés et particulièrement contre les sujets faibles et sans défense (El Hallaj avait pris faits et causes pour les révoltés des manufactures du Kharkh et pour les Zendj se soulevant contre la pratique de l'esclavage) marqués qu'ils furent par les radicales révolutions qui secouèrent la société arabo-musulmane depuis les dissidences kharijite jusqu'aux qarmates. C'est ainsi qu'ils développeront alors une conception martyre de l'opposition qui inspirera plus tard des soufis illuminés, les Assassins. Le second courant, le soufisme d'im-posture, est né de la dégradation du statut de savoir suite aux inquisitions et aux persécutions contre les intellectuels radicaux, principales victimes refusant les compromissions de corruption et d'intéressement. Suite à ces restrictions des libertés de penser et de critique, le mouvement intellectuel s'est petit à petit étiolé. La décadence s'infiltra alors insidieusement dans la société arabo-musulmane n'épargnant ni personne ni aucune société, car les mêmes causes produisant les mêmes effets, le phénomène de généralisation entraîna un mouvement général de décomposition. Ce dernier s'amorça avec la réaction hanbalite et la mise du califat abbasside sous la tutelle des milices turques seldjoukides qui s'emparèrent du pouvoir politique depuis El Moutawakkil (inquisition et persécution des intellectuels opposés à l'exploitation de la religion par le pouvoir politique). Un processus de pseudo légitimation du pouvoir, appuyé lui-même sur un pseudo savoir, aboutit assez rapidement à la constitution des « tariqa » ou « toroqiyya », sectes initiatiques très ritualisées servant essentiellement à contrôler la pensée et les discours par le fait de médiocres théologiens de service ou surtout de jurisconsultes véreux qui ne tiennent leur « maqâm » que de l'autorité que leur confiait le pouvoir politique les utilisant à cet effet et pour les besoins de raffermir son autorité, tout en participant à vénaliser et à corrompre les valeurs éthiques et morales de la cité. La chose atteindra le comble avec le superstitieux Abou Yaqoub l'almohade qui fit brûler les ouvrages d'Ibn Rochd et d'El Ghazali Abi Hamed, et qui força le célèbre soufi philosophe andalou Mohamed Ibn Abdelhak Ibn Sab'in à s'exiler, puis à se suicider en s'ouvrant les veines sur la pierre noire à la Mecque refaisant le geste d'Ibrahim El Khalil sacrifiant son enfant. Le soufisme, avant tout un effort personnel d'autoperfection, deviendra ensuite une discipline très ritualisée dans des khandaq (zaouiate). Alors que le soufi des siècles d'excellence, mendiant mais libre, faisait l'effort par lui-même et sur lui-même d'acquérir le savoir et la connaissance et de s'imposer une autodiscipline, le soufi de la décadence va devenir petit à petit un pensionné alimentaire et semi-analphabète développant des stratégies de survie (se faire entretenir) en vertu d'une mission qu'il se compose sans scrupules à l'image des missions prophétiques (créer une communauté de fidèles soumis, prétendre servir d'intermédiaire avec les saints tutélaires, voire avec Allah, déchiffrer sur le registre magique et ésotérique des messages, voire des énigmes et en transmettre les contenus, et guérir des hypocondriaques). En ce sens, ce soufi détournera une fonction prophétologique à des fins personnelles et au service du souverain, souvent mercantiles, se composant une généalogie mythique pour s'imposer à des fidèles et prétendra détenir son « borhane » directement d'Allah par science infuse. Thaumaturge de circonstance, il cultivera un paraître par un accoutrement qui n'a plus rien à voir avec celui des premiers soufis mendiants pour finir avec « les médailles de mérite ».