Le voyageur qui arrive à Toronto s'arrête devant un gratte-ciel flambant neuf qui a coûté 196 millions de dollars et nécessité 10 ans de travaux. A l'angle de John et King street, Bell Lightbox est désormais la maison du festival avec cinq salles et des films parlant toutes les langues programmés toute l'année. Toronto De notre envoyé spécial Après le festival, la fête continue avec Essential Cinema, cent films parmi les classiques, à commencer par La Bataille d'Alger, Citizen Kane, Metropolis, Le Voleur de bicyclette…En ces jours ensoleillés du festival, les projections n'ont pourtant pas été désertées. 300.000 billets ont été vendus. Out Of The Law ( titre américain de Hors La Loi) a été montré trois fois dans des salles pleines. House full, comme on dit ici. Le festival de Toronto fonctionne comme un test nord-américain pour voir comment vont «marcher» les films à leur sortie au Canada et aux Etats-Unis. Rachid Bouchareb ne craint rien sur ce plan-là, son film risque fort de faire un tabac. Les critiques américains présentent son travail de mise en scène comme similaire à celui de Francis Ford Coppola ou Sergio Leone… Succès total aussi : le film chinois Le retour de Chen Zhen, de Andrew Law (Hong Kong). Dans le même Shanghaï du roman d'André Malraux La Condition humaine, cité divisée en concessions étrangères, occupée par les Japonais, soumises aux intrigues des Anglais,il y a dans ces années trente un front uni des nationalistes et des communistes qui se bat pour libérer le pays. Andrew Law ( hasard de la programmation) rappelle aussi au début de son film qu'il y avait un bataillon chinois aux côtés des Alliés contre l'Allemagne pendant non pas la seconde guerre, comme dans Indigènes avec les Maghrébins, mais la Première Guerre mondiale. La tragédie de Ghaza sous les bombes israéliennes a brusquement repris forme sur les écrans de Toronto grâce au film norvégien de Videke Lokkeberg. La tragédie a laissé tant de traces dans la ville et dans les cœurs. Etonnante surprise : le film russe à petit budget Silent Souls de Aleksei Fedorchenko, sur les rites ancestraux d'une communauté marginale de l'Ouest de la Russie : les Marjas, lesquels cherchent à préserver leurs pratiques culturelles, spirituelles et aussi funéraires. On assiste à la crémation d'une femme décédée et à la dispersion de ses cendres dans le fleuve. Un film très subtil tourné dans une contrée splendide de forêts et de lacs. Cela dit, la réussite la plus totale au festival de Toronto cette année, c'est incontestablement le film de quatre heures trente Misterios de Lisboa ( Les Mystères de Lisbonne), de Raoul Ruiz. C'est une longue et passionnante histoire tirée d'un roman de Camilo Castello Branco qui se passe au XVIIIe siècle. Le récit résonne des soubresauts d'une aristocratie moribonde, de ses conflits d'intérêts, de ses vies tourmentées, pleines de haine et de vengeance. Epoque troublée où un louche personnage, trafiquant d'esclaves avec le Brésil, peut devenir très riche et aussi où un marquis devient mendiant dans la rue par un revers de fortune. Raoul Ruiz filme cette envoûtante saga avec un brio extraordinaire dans des décors de châteaux, de palaces portugais époustouflants de splendeurs, vestiges d'une aristocratie qui se meurt. Presque cinq heures de projection qui passent comme un clin d'œil et quand le mot fin apparaît à l'écran il semble interrompre une grande œuvre d'art, une rêverie poétique infinie.