Hier encore, on appelait leurs parents « bougnoules » ; aujourd'hui, on les qualifie de « racaille » de banlieues (racaille : rebut de la société, personnes viles ; dixit le Larousse). Hier encore, on nettoyait au napalm dans certaines colonies ; aujourd'hui, on veut les nettoyer au « karcher ». Mais enfin, est-ce bien là l'Etat de droit, patrie des droits de l'homme et de la démocratie auxquels les jeunes des banlieues ont tant cru ? A telle enseigne que leurs parents ont défendu la France, les armes à la main comme tirailleurs ; beaucoup d'ailleurs y ont laissé leur vie. Ce, alors que la France, par la voix de son ambassadeur en Algérie, a pu indiquer que les massacres du 8 Mai 1945 à Sétif sont « une tragédie inexcusable ». Il est vrai aussi que, dans le même temps, une loi du 23 février 2005 parle de « rôle positif de la présence française outre mer, notamment en Afrique du Nord ». Certains y ont décelé des relents colonialistes qui sont toujours présents dans certains esprits. Devrait-on alors parler de discrimination d'Etat ? Y a-t-il là une stratégie concertée en vue d'un rapprochement avec l'extrême droite (2007 n'est plus une date éloignée, il est vrai) ? Car enfin, qu'est-ce à dire que traiter les gens de « racaille », dont beaucoup vivent dans les banlieues françaises ? Citoyens de ce pays, ils y sont nés, y ont étudié, y payent leurs impôts et règlent leurs cotisations ; ils sont citoyens de ce pays depuis maintenant plusieurs générations. Leurs parents en exil ont dépensé leurs plus belles années pour défendre et aider à construire la France d'aujourd'hui ; ils se trouvent dépouillés du plus élémentaire droit de vote aux municipales tant promis par une gauche qui s'est reniée depuis, laissant le soin à une certaine droite reprendre démagogiquement cette question (certains pays européens moins illustres que la France l'ont pourtant réglée depuis des lustres ; pour certains, depuis les années 1960-1970). Si les ressortissants de certains pays européens n'ont même plus besoin d'avoir un titre de séjour pour leur installation en France (Espagne, Belgique... devenus eux-mêmes pays d'immigration), il reste que les étrangers africains, arabo-berbères, turco-kurdes, sino-vietnamiens vivent dans des banlieues - ou, dans les quartiers périphériques de Paris - subissant souvent de plein fouet le chômage, l'habitat précaire et les échecs scolaires. On contraint cette « racaille » à revoir sérieusement la vision idyllique qu'elle se faisait jusqu'alors de la démocratie française ? Veut-on pousser ces gens vers un désespoir sans fin ? Il est vrai qu'après de bons loyaux et loyaux services dans les colonies comme en Métropole, on a pu dire à leur endroit que « la France ne peut accueillir toute la misère du monde » - alors qu'elle y a contribué - et d'« invasion »... Chacun y va de ses bons mots à défaut d'apporter des remèdes sérieux et efficaces aux maux qui rongent les banlieues et les cités. Il est vrai que depuis longtemps déjà, les banlieues et l'immigration sont devenues des thèmes récurrents dans le débat politique qui agite le microcosme de la classe politique française, droite et gauche confondues. Nous sommes en effet devenus une équation à multiples inconnues... Créer un ministère chargé de la promotion de l'égalité des chances (nous osons espérer qu'il ne s'agit pas de simple alibi) et y mettre un citoyen français - couac d'origine étrangère, un simple douanier américain n'ayant pas manqué récemment de le lui rappeler - est une chose, autre chose est de permettre à celui-ci d'avoir les moyens humains, financiers et techniques pour mettre en place une véritable politique à l'égard des citoyens de banlieues, notamment afin de leur permettre d'exister, de s'exprimer sur leurs conditions et de se sortir de leur galère (logement, emploi, scolarité...) face sans doute aux moyens d'autres ministères qui peuvent apparaître comme démesurés. Et parce que les citoyens de banlieues ne veulent plus être considérés comme des boucs émissaires, d'aucuns se doivent d'éviter tout climat de tension exacerbée en jetant de l'huile sur le feu. Alors, de grâce, que cesse cette escalade insensée pour privilégier le dialogue par une communication appropriée en usant de vocables à tout le moins courtois. A rappeler tout de même que les citoyens de banlieues constituent un bon pactole de voix qu'il faudra venir chercher le moment opportun. Et ce n'est certainement pas par le gourdin et les vocables de mauvais goût qu'on y parviendra... Monsieur Azzouz Begag, gone de la châaba, à vous la parole ! (*) L'auteur est Avocat. Auteur de Mémoires d'immigré et Sous l'exil l'espoir.