L'objectif principal visé par les promoteurs de ce concept est de remobiliser les personnels et de les mettre en confiance face au danger du chômage tout en améliorant la productivité. En moins d'une année les enseignants et les parents d'élèves algériens ont eu à entendre pour la première fois parler de choses nouvelles : l'approche par les compétences, le projet pédagogique (en classe), les lycées d'excellence, les examens de passage, etc. Le ministère de l'Education nationale vient d'annoncer le lancement d'une autre innovation en prise directe sur le fonctionnement des établissements scolaires. Il s'agit du « projet d'établissement ». Sans rentrer dans les détails de cette entreprise d'envergure -nous y reviendrons régulièrement à chaque édition-, il y a lieu de préciser d'emblée qu'il ne s'agit pas là d'un principe dicté par la pédagogie moderne. Il aura, certes, des implications dans le domaine pédagogique. L'apparition de ce concept a eu lieu en France au début des années 1970. C'est dans ce pays qu'il a connu son heure de gloire et ses premiers déboires. L'historique de son évolution nous montre clairement que son utilité est liée au mode de fonctionnement et aux soubassements idéologiques du système éducatif français (voir le prochain article : « Le cadre théorique ») exacerbés par la crise économique qui a frappé le monde occidental. Cette dernière n'a fait qu'accélérer sa formalisation et c'est d'ailleurs dans le monde du travail qu'est lancée pour la première fois la notion de projet. A la suite du choc pétrolier des années 1970, les entreprises économiques devaient affronter d'énormes difficultés financières qui les avaient poussées à imaginer des solutions pour survivre. Parmi elles : le projet d'entreprise. L'objectif principal visé par les promoteurs de ce concept est de remobiliser les personnels -cadres, techniciens et ouvriers- et de les mettre en confiance face au danger du chômage tout en améliorant la productivité. C'était la période bouillonnante des cercles de qualité, du « brainstorming », du développement des compétences et de leur évaluation permanente. Le monde scolaire n'est pas resté insensible à ces idées nouvelles. Effet de mode ou souci de performance ? La question a soulevé des passions dans le paysage scolaire français de l'époque. Il fallait pour les décideurs français répondre à un dysfonctionnement majeur du système : sa forte centralisation et sa hiérarchisation à outrance. Le fonctionnement du « grand mammouth » -pour reprendre une célèbre formule imagée d'un ancien ministre socialiste- ne cadrait pas avec l'indispensable responsabilisation/conscientisation des personnels du secteur, les enseignants en particulier. Pour les promoteurs du concept, le parallèle entre le monde scolaire et le monde du travail s'imposait. Les plus sceptiques estimaient au contraire qu'il était inconcevable de comparer le rendement scolaire à des produits d'usine. La réalité du terrain caractérisée par l'étouffement des initiatives de la base et la mainmise de l'autorité administrative ont fini par inscrire la gestion du système éducatif dans le sillage des innovations en vogue dans le monde de l'entreprise. Ainsi donc « le projet d'établissement » prenait racine non pas à partir de considérations strictement pédagogiques mais dans la jonction de phénomènes multiples. Nous en citerons trois. La donne politique -la décentralisation était déjà à l'ordre du jour en France-, la donne économique -rationaliser les dépenses et améliorer les prestations-, la donne sociale -affirmer l'utilité sociale ainsi que l'autonomie de l'établissement. Les différents ministres qui se sont succédé depuis l'avènement du parti socialiste en France (1981) ont tous impulsé une dynamique afin de matérialiser le concept. C'est la loi de 1982, dite de la Rénovation des collèges, qui l'officialise. Auparavant, la littérature spécialisée préparait le terrain en proposant de nombreuses réflexions et analyses sur le thème : l'impératif était d'informer le maximum de partenaires, de vulgariser le concept auprès des enseignants, des parents et des chefs d'établissement et surtout de le cerner dans ses moindres détails. Des innovations ont précédé le « projet d'établissement » : le tiers temps aménagé, les projets d'action éducative (PAE), le programme d'actions pédagogiques (PAP). Elles ont alimenté les gestionnaires, les enseignants, les élèves et les parents en outils conceptuels et en pratiques nouvelles. Au début des années 1990, une fois arrivées à maturation, ces innovations préparatoires ont convergé vers le projet d'établissement prêt à être généralisé (lire avis autorisés). En quelque sorte, le terrain de décollage a été balisé pendant plus d'une décennie. Ce travail préparatoire était indispensable pour assurer la mise sur orbite de la fusée à étages qu'est « le projet d'établissement ». Et en Algérie ? Le bouillonnement d'idées généreuses qui avait lieu en France ne laissa pas insensible les décideurs algériens. En 1983, quinze cadres du secteur de l'éducation furent envoyés dans ce pays pour ramener « la technologie » de cette innovation. Leur mission était claire au départ : s'informer et se perfectionner dans la gestion du projet d'établissement. Une fois engrangé le maximum de données, ils devaient encadrer la formation de leurs collègues restés au pays. Cette mission était composée de chefs d'établissements (primaire, collège et lycée), d'inspecteurs et d'intendants - remarquez qu'il n'y avait pas d'enseignant. La tutelle leur avait promis des postes au Centre national de formation des cadres. La tête pleine de notions nouvelles, les valises débordantes de documents et le cœurs rempli d'espoir à l'idée de s'acquitter d'un devoir, voilà nos quinze missionnaires de retour. Le temps passa dans l'attente d'un signal de la part de la tutelle. Silence radio ! Chacun reprit son poste d'origine et la documentation ramenée de France eut le temps de crouler sous la poussière. En 1995, le projet fut repris de nouveau -toujours sur le ton de l'injonction administrative. A la différence que cette fois-ci, un effort de réflexion fut entrepris et un document produit .En effet la direction de l'organisation scolaire du MEN envoya deux documents : l'un est une nomenclature d'objectifs notionnels et l'autre, plus officiel, porte en objet « Note de présentation du projet d'établissement » en date du 22 mars 1995. Pour des raisons restées obscures l'idée resta lettre morte. En septembre 2005 -dix ans après-, dans la foulée des sanctions de proviseurs coupables de mauvais rendements, le ministre annonça la couleur : « Dorénavant, chaque chef d'établissement sera tenu de présenter un projet d'établissement. » Une réunion de sensibilisation est programmée entre les responsables nationaux et les directeurs de l'éducation : le coup de starter est donné...non pas pour baliser le terrain de décollage (en France dix ans ont été nécessaires), mais pour lancer la fusée « Projet d'établissement ». Depuis la mort d'astronautes en plein vol, nous savons qu'une fusée peut réussir dans sa mission comme elle peut ...exploser. (A lire dans nos prochaines éditions : « Le cadre théorique du projet d'établissement », « Définition et cas pratique », « Processus de mise en œuvre », « Conditions de réussite ( et obstacles) », « Comment évaluer un projet d'établissement ? » Ahmed Tessa. [email protected]