Routes bloquées, pneus brûlés, jets de pierres... Toute la journée d'hier, plusieurs régions ont connu les mêmes violences. Malgré l'absence de bilan officiel, nos correspondants ont rapporté plusieurs blessés. - Bordj Bou Arréridj : «Vie chère rime avec galère»
Des émeutes ont éclaté, hier après-midi à Ras El Oued, à 30 km de Bordj Bou Arréridj où des dizaines de jeunes ont manifesté contre la flambée des prix et affronté les forces de l'ordre à coups de pierres. Les incidents ont commencé lorsque des manifestants ont occupé l'une des principales placettes de la ville, selon nos sources. Des groupes de jeunes ont érigé des barricades à l'aide de pneus brûlés, alors que les accès à l'APC de Ras El Oued et au lycée Badi Bouslim ont été fermés. Les forces de l'ordre sont intervenues pour dégager la voie publique. Ces émeutes surviennent après la flambée vertigineuse des prix de certains produits de base, comme le sucre, le café, les légumes et l'huile, enregistrée ces derniers jours sur les marchés locaux. «Vie chère rime avec galère, mais surtout misère pour les couches sociales les plus fragilisées et nous les chômeurs», dira un jeune manifestant. «Nous, nous avons des soucis pour nos enfants, la vie est chère à Ras El Oued, un kilo de sucre coûte 120DA, la courgette 150DA et le pain 10 DA», avait expliqué en hurlant un père de famille. A noter que la commune de Ras El Oued, qui compte près de 73 000 habitants, est confrontée à un fort taux de chômage et un exode rural qui s'est accentué ces dernières années.
- Tipasa : «Je ne vous souhaite pas une vie pareille» Des carrefours et les axes routiers stratégiques que nous avons pu emprunter en cette journée ensoleillée de ce jeudi laissent apparaître des traces de cendres fortement collées au sol.Barrer les routes à l'aide de moyens de bord (pneus brûlés, pierres, troncs d'arbre) et bloquer la circulation des véhicules, constitue aujourd'hui pour les citoyens désespérés l'unique moyen de se faire entendre pour crier toutes leurs «misères» sociales. Les tensions larvées couvent au sein des populations depuis des années ont éclaté dans les communes des daïras de Koléa, Fouka et Bou Ismaïl. Au total, plus de vingt jeunes ont été interpellés par les éléments de la Gendarmerie nationale et ceux de la Sûreté nationale pour être déférés devant les magistrats du tribunal de Koléa hier et dimanche prochain. Rencontré sur une route à Douaouda, un homme âgé de 75 ans vient de vendre les deux dernières galettes. «Je viens de ramasser 400 DA ; je vais à la maison qui se trouve au pied de la colline. J'aimerais bien gagner plus. Vous savez, je ne veux pas terminer ma vie dans la mendicité et mourir de faim me hante à chaque instant. La vie est devenue insupportable avec ces augmentations des prix», nous confie-t-il avant de nous tourner le dos pour rejoindre son habitation précaire. Un autre vieil homme plus âgé s'installe avec ses galettes à son tour. «Je ne vous souhaite pas une vie pareille, nous murmure-t-il. Bientôt je vais avoir 80 ans, je n'ai aucune source de revenus sauf celle de vendre de la galette. Je viens d'El Abadia (Aïn Defla, ndlr). «comme des animaux» Nous vivons comme ces animaux que vous voyez devant vous, ces moutons se fichent de leurs lieux d'hébergement, mais l'important pour ces bêtes c'est de trouver de quoi manger. C'est pareil pour nous.» Nos interlocuteurs se plaignent des élus de leurs communes qui ne les reçoivent pas pour écouter leurs doléances et atténuer un tant soit peu leurs souffrances. Entre Fouka et Koléa, nous abordons une bande de jeunes aux yeux hagards, mais très méfiants. Un jeune âgé de 19 ans nous questionne sur la raison de notre halte. Une fois mis à l'aise, il nous relate son quotidien. «J'arrive à naviguer pour gagner un peu d'argent pour aider mon père qui a un salaire de 13 000 DA, nous indique-t-il. Avec ma mère, mes quatre sœurs et cinq frères, plus jeunes que moi, nous n'arrivons pas à vivre décemment. D'ailleurs, enchaîne-t-il, j'ai quitté l'école en septième année pour aider mon père. Il faut voir les quartiers populaires à Koléa, Fouka, Chaïba et Douaouda, vous verrez le jour en pleine nuit, tellement ils ont incendiés…» «une honte pour notre pays» La forte hausse des prix des produits de première nécessité semble avoir été à l'origine de ces violences et de ces actes de désespoir des populations. Berbessa, une importante agglomération de la commune de Chaïba est déserte. Il ne reste que les séquelles des pneus brûlés. «Les jeunes manifestants sont restés jusqu'à 2h du matin. Les gendarmes sont intervenus pour les disperser. Ils ont interpellé deux manifestants», nous précise un habitant. Au niveau de certains marchés de la wilaya de Tipasa, on nous informe que les manifestants se sont donné le mot pour manifester après la prière du vendredi. Des individus qui se prétendent syndicalistes de l'UGTA nous disent que la centrale syndicale a instruit ses représentations locales pour assurer la permanence ce week-end. Un cadre de la direction du commerce de la wilaya de Tipasa tente de nous expliquer la situation. «A présent, il y a des grossistes embarrassés, car ils avaient l'habitude de louer les registres du commerce pour s'approvisionner en grandes quantités, mais ils ne pourront plus le faire depuis l'application des textes. Ils sont tenus de payer par chèque en leur nom et présenter leur registre du commerce à leur fournisseurs», indique-t-il. «Heureusement que les manifestations ont été couvertes par les télévisions étrangères, ajoute un passant. C'est une honte pour notre pays qui possède des centaines de milliards de dollars dans les banques américaines, tandis que son peuple manifeste pour manger !» Retour à Tipasa. L'atmosphère est autrement plus calme. On nous confirme qu'à Meurad, une localité située au sud de Hadjout, les habitants ont fait éclater leur colère dans la matinée.
- Béjaïa : Barricades, pneus brûlés et jets de pierres La rue a grondé la matinée d'hier à plusieurs endroits de la wilaya de Béjaïa où la protestation contre la flambée des prix des produits de consommation s'est propagée comme par effet de contagion. Dans la vallée de la Soummam, la RN26 a été barricadée en divers points. C'est le cas, notamment à Akbou, deuxième plus importante ville de la wilaya, où au moment où nous mettons sous presse une foule de manifestants brûle des pneus au centre-ville. Guendouza, le Piton, la Zone, tout au long de l'axe de la nationale qui traverse le sud de cette ville est fermé à la circulation automobile avec des poubelles, pierres, troncs d'arbres et autres objets... Les manifestants se sont même pris aux édifices publics, selon des sources locales, qui notent que la protestation, bien que timide, a commencé la veille avec les jets de pierres sur la voie publique. Le même climat de tension est perceptible dans la ville voisine d'Ighzer Amokrane où, selon notre correspondant sur place, la route est fermée au niveau de Helouane, à l'entrée ouest de la ville. Et aussi à Laâzib où la circulation automobile n'est permise que pour des cas d'urgence. Des pneus y ont été également brûlés le matin. Vers le début de l'après-midi, d'autres sources nous signalent des signes avant-coureurs d'un mouvement de protestation qui se préparerait dans d'autres localités de la wilaya comme Takriets, Sidi Aïch et El Kseur.
- Souk Ahras : Panique générale Hier, à 16h30, des dizaines de jeunes, pour la plupart encagoulés, ont pris d'assaut la rue principale de la cité Laâlaouia à Souk Ahras, provocant un climat de panique générale au milieu des citoyens et des commerçants du marché des fruits et légumes. Les commerces ont aussitôt baissé rideau et les services de sécurité venus en renfort ont bouclé toute la zone. Les manifestants, scindés en plusieurs groupes, ont jeté des projectiles en direction des représentants de l'ordre, lesquels ont répliqué par des tirs de sommation et de bombes lacrymogènes pour les disperser.
- Aïn Defla : Des citoyens en colère bloquent la RN4 Des citoyens en colère ont bloqué, hier après-midi, la RN4 à hauteur de la ville de Boumedfaâ qui mène à la ville thermale de Hammam Righa (à l'est du chef-lieu de wilaya de Aïn Defla). Les émeutiers, qui protestaient contre la flambée des prix, ont bloqué la route en incendiant des pneus. L'intervention des éléments de la Gendarmerie nationale a fini par apaiser les esprits. Ailleurs, à travers les autres communes où règne un calme inhabituel, la rue demeure à l'affût de la moindre information en provenance d'Alger.
- Chlef : Chettia s'embrase à son tour Chettia, deuxième commune de la wilaya de Chlef, limitrophe du chef-lieu de wilaya, a connu hier une après-midi très mouvementée. Vers midi, des manifestants, en majorité des jeunes, ont brûlé des pneus et bloqué la route principale à l'aide de pierres et d'autres objets hétéroclites. Des affrontements ont éclaté le long de cette voie entre les services de sécurité et des jeunes, mais sans faire de victimes ni d'un côté ni de l'autre. L'agglomération, qui abrite 85 000 habitants, était quadrillée par un important service de sécurité, composé essentiellement d'unités antiémeute. Les commerçants ont dû baisser rideau, craignant des débordements incontrôlables. En fait, jusqu'à 14h30, on ne déplorait aucune attaque sur des biens publics ou privés. Les manifestants dénonçaient la cherté de la vie et la dégradation continue de leurs conditions de vie. Ils s'élèvent également contre l'exclusion sociale et la carence manifeste des autorités en matière de prise en charge de leurs préoccupations essentielles. Il faut savoir que Chettia est une grande concentration d'habitations en préfabriqué construites suite au séisme de 1980. Le chômage touche la moitié de la population et aucun projet d'investissement ni d'activités créatrices d'emplois n'ont vu le jour. La ville avait connu des émeutes violentes en avril 2008 en signe de protestation contre les conditions de logement des familles sinistrées.
- Blida : 10 blessés sur la RN69 La wilaya de Blida connaît, depuis mercredi après-midi, plusieurs mouvements de protestation. La première étincelle de colère a éclaté, en début d'après-midi à Zaouia, localité dépendante de la commune de Beni Tamou. Une centaine de manifestants, dont la plupart sont des jeunes, ont procédé à la fermeture de la RN69 à l'aide de troncs d'arbre, de pierres et de pneus en feu. En colère, ils s'en sont pris à deux bus de transport d'étudiants allant en direction de la ville de Fouka dans la wilaya de Tipasa. La Protection civile déclare avoir porté secours à 10 blessés dont 8 étudiants. Un seul blessé grave a été évacué au CHU Frantz Fanon. Cette protestation a nécessité l'intervention des unités de la Gendarmerie nationale des communes de Blida, Beni Tamou et Oued El Alleug. Après plusieurs accrochages opposant manifestants et éléments de la gendarmerie, une accalmie précaire a été constatée sur les lieux vers 22h. Aucune arrestation n'a été déclarée. «Nous n'arrêterons pas notre mouvement de fureur tant que les autorités n'ont pas pris des mesures quant à la flambée des prix des produits de première nécessité, entre autres le sucre et l'huile», déclare Omar, 22 ans, chômeur de son état. Au moment où le calme a regagné Beni Tamou, une émeute s'est déclarée au chef-lieu de wilaya. Une cinquantaine de jeunes ont manifesté face à la salle Baaziz Mohamed située derrière le siège de la wilaya. A l'aide des pneus enflammés, ce groupe de jeunes a fermé le boulevard Kritli Mokhtar, chemin principal menant vers le centre de la ville des Roses. Il a fallu l'intervention des agents anti-émeute et des éléments de la sûreté de wilaya pour apaiser les esprits. Une heure après, vers 23h, un mouvement similaire est signalé au niveau du CW115 reliant la commune de Larbâa à la wilaya d'Alger via Baraki. Utilisant les mêmes moyens, des dizaines de jeunes ont fermé ce chemin connu pour son fort trafic automobile. Après cette nuit agitée, aucune arrestation n'a été déclarée dans les trois lieux. Toutefois, une rumeur d'une explosion de colère prévue demain (samedi) circule dans les vingt-cinq communes de la wilaya. Les forces de l'ordre sont en état d'alerte générale. Par ailleurs, certains jeunes nous ont déclaré avoir été «poussés» à l'émeute par des «personnes inconnues».
- Bouira : La RN8 barricadée La région est de la wilaya de Bouira était durant l'après-midi d'hier le théâtre d'un mouvement de protestation. En effet, des centaines de manifestants sont sorties dans la rue pour dénoncer la flambée inexplicable des prix de produits de large consommation. La première démonstration de rue a été signalée dans la commune d'Ahnif, à 45 km à l'est de Bouira. Des dizaines de protestataires ont barricadé la RN8, à l'aide des pneus brûlés et autres troncs d'arbres, durant plusieurs heures, avant que la protestation se propage vers d'autres régions. En fait, la RN8 a été aussi fermée à l'entrée de la ville de Chorfa, à 3 km d'Ahnif. Par ailleurs, le tronçon autoroutier traversant la commune de Bechloul était lui aussi fermé à toute circulation. L'axe autoroutier était barricadé par des jeunes venus en force des villages et autres localités de la commune d'Ath Laksar. Les manifestants ont agi en bloquant ce tronçon, au lieudit le «rond-point», en allant vers le centre-ville de Bechloul, à l'aide de blocs, de troncs d'arbres et autres pneus incendiés. Des centaines d'automobilistes ont été bloqués durant plusieurs heures. À l'heure où nous bouclons le journal, des forces antiémeute de la gendarmerie étaient sur les lieux pour tenter de libérer la route.
- Oran : La tension persiste Hier matin, le calme est revenu dans les quartiers qui ont enregistré des échauffourées avec la police. A Petit-Lac (Ibn Sina), les sequelles des émeutes sont à peine visibles. Les branchages utilisés pour barrer la route ont été ramassés par les camions des services de l'APC qui ont également nettoyé les traces des pneus brûlés. Quelques fourgons de police sont encore stationnés, mais la vie semble avoir repris sont cours, car les cafés et les commerces sont ouverts. «Ce sont surtout des jeunes qui ont exprimé leur colère par rapport à la cherté de la vie et le manque de perspectives», déclare un commerçant affairé à monter son enseigne. Les problèmes sociaux, chômage et logements notamment, sont les sujets de discussion des riverains qui approuvent le sentiment de révolte. Pas loin du siège de l'annexe de l'APC, le siège de la CNEP a été ciblé par des jets de pierres et sa structure (en partie en verre) a volé en éclats en plusieurs endroits. Un dispositif de police a été gardé en place. A Tirigo (déformation de Victor Hugo), le calme règne mais un léger dispositif de police a été également installé à titre préventif. Ces deux quartiers de la périphérie immédiate d'Oran englobent des cités d'habitations collectives anciennes et dégradées, mais c'est à El Hamri que le problème de logement se pose avec acuité. Les tentes de fortune installées à proximité des maisons menaçant ruine, suite aux intempéries qui ont causé des dégâts, sont toujours là, malgré les promesses de l'ancien ministre de la Solidarité qui avait, il y a plus de deux ans, promis de reloger les sinistrés. «Dès que l'information selon laquelle des émeutes ont éclaté à Tirigo, les commerçants du boulevard des Martyrs ont commencé à baisser rideau, ce qui a eu pour effet d'exciter les jeunes du quartier qui se sont rassemblés. Certains ont commencé à brûler des pneus et des morceaux de bois», témoigne le délégué du secteur urbain. La police est alors arrivée pour bloquer les accès. A El Hamri, il n'y a pas eu de dégâts mais le même délégué confirme que la police a procédé à des interpellations. Il y a eu pourtant tentative de calmer la situation. «Nous avons fait appel à des gens du quartier plus âgés et c'est grâce à eux que nous avons pu calmer les esprits. Nous avons discuté avec eux et le principe d'une rencontre avec le wali a été adopté (pour hier après-midi, ndlr)», ajoute le même interlocuteur qui estime qu'à El Hamri, en plus des préoccupations posées concernant le chômage, c'est surtout la vétusté du parc immobilier qui pose problème. «C'est vrai, dans certaines maisons délabrées, il y a de quoi avoir peur de rentrer», reconnaît-il. - Boumerdès : Les rues se transforment en terrains d'affrontements Des centaines de personnes issues de diverses localités de Boumerdès sont sorties, hier, dans la rue où elles ont exprimé leur colère contre la malvie et le marasme généré par l'augmentation des prix des produits de large consommation. Le malaise que vivent les habitants de la région semble avoir atteint son paroxysme. Cette vague de protestation s'est répandue comme une traînée de poudre à travers plusieurs localités de la wilaya. Elle a débuté vers 11h par la fermeture de la RN12 à hauteur de la ville de Naciria, où la circulation automobile a été perturbée durant plus d'une heure. La nouvelle a vite fait le tour de la région. Certains parlent d'une révolte alors que d'autres évoquent une manipulation. Les forces de l'ordre, dépêchées sur les lieux, n'ont pu rien faire face à la furie des jeunes. A Bordj Menaïel, le soulèvement des jeunes a été plus violent. Les échauffourées se sont soldées par d'importants dégâts. Les manifestants ont lancé des pierres sur le siège de la CNEP et plusieurs autres édifices publics. Les rues de la ville ont été transformées en terrain d'affrontements. L'air y était irrespirable durant toute la soirée. Les commerçants ont tous baissé rideau. Les jeunes ont, dans un premier temps, bloqué la RN12 au lieudit Bousbaâ, contraignant les automobilistes à rebrousser chemin. Le même scénario a été enregistré également aux Issers où de violents affrontements ont opposé les jeunes aux forces de l'ordre. L'échange de projectiles entre les deux parties a été d'une violence inouïe. Les habitants de cette région en ont gros sur le cœur. La colère et la tension qui se sont emparées de ces localités se veulent une réponse aux déclarations rassurantes des pouvoirs publics, qui continuent de tourner le dos à leurs véritables préoccupations.