Sommes-nous en train de vivre à rebours le même scénario des événements d'Octobre 1988 au niveau tant des faits que des lectures politiques croisées des émeutes qui ont éclaté un peu partout à travers le pays depuis mardi dernier et que l'on tente de faire, à chaud, ici et là ? Mouvement spontané ? Manipulation ? Règlement de comptes au sommet entre clans du pouvoir sur fond d'enjeux électoraux ? Réaction de la bête blessée : des milieux de la corruption, inquiets pour leurs affaires et leur devenir à la suite des dossiers ouverts ainsi que de leurs parrains, soucieux de placer le garrot là où il faudrait pour ne pas qu'on remonte plus haut la chaîne des responsabilités et de l'accusation ? Ce sont là autant de pistes et de questionnements avancés pour tenter de cerner les tenants et les aboutissants de ces émeutes. En tout état de cause, quoi que l'on dise et que l'on pense, comme en octobre 1988, le terreau de la contestation sociale est bien réelle. Toutes les statistiques, même officielles, le corroborent. La tendance haussière du taux d'inflation a laminé le pouvoir d'achat des citoyens. Les inégalités sociales ne font que se creuser. Les prix n'obéissent à aucune logique économique et commerciale. A force de tirer sur la corde, elle finit fatalement par casser. Lorsque le suicide, qui n'est pas exclusivement le fait de jeunes adolescents mal dans leur peau, gagne des pères de famille, c'est que la société va mal, très mal. Et cela n'augure rien de bon pour la paix et la cohésion sociales. Personne ne peut nier cette vérité aujourd'hui, sauf ceux qui ne vont pas au marché ou qui ne comptent pas leurs sous quand ils font leurs courses, qui sont à l'aise, socialement parlant, qui profitent de manière directe ou indirecte de la rente du système. Ceux-là ne pourront bien évidemment qu'avoir un autre regard sur ce mouvement de colère. La question de la synchronisation des émeutes à travers le pays est en effet évoquée par certains cercles pour signifier qu'il y a un mot d'ordre et des mains maléfiques qui tirent les ficelles de derrière le rideau. Trop facile d'accuser à chaque fois de rage son chien quand on veut s'en débarrasser ! Il est établi dans la psychologie des foules que lorsque les ingrédients de la contestation sociale sont là, l'effet boule de neige est immédiat et inévitable. Même si la télévision publique et les médias lourds censurent l'événement, le message se répand partout ; l'Algérie reste encore une société de l'oralité et l'Algérien est aujourd'hui arrosé par les chaînes satellitaires qui retransmettent en boucle ce que la télévision d'Etat n'ose pas montrer. Cela crée une situation d'émulation. C'est ce qui explique l'ampleur et l'extension des foyers de contestation à travers le pays. En proie aux mêmes difficultés de la vie, aucune région du pays ne voudrait demeurer en marge du mouvement. Restent ces actes de destruction des commerces et de certains établissements publics et privés enregistrés que l'on ne peut que déplorer. Car le meilleur moyen de discréditer un mouvement social, c'est de laisser la confusion et le doute s'installer dans les esprits en mélangeant revendication et violence. En ne canalisant pas et en n'encadrant pas le mouvement. C'est l'une des plus grandes leçons à retenir de ces événements. En verrouillant le champ syndical, en s'appuyant sur un syndicat maison, l'UGTA, qui porte une responsabilité politique pour n'avoir pas été à l'écoute des préoccupations des travailleurs, le pouvoir a créé les conditions objectives du transfert du dialogue social dans la rue. Transposées sur un plan politique, ces émeutes posent, de manière plus globale, la problématique de la démocratie et des contre-pouvoirs dans le pays, qui sont les gages d'une société moderne où les problèmes de développement et les crises qui traversent la société se règlent par le débat à l'intérieur des institutions. Et le recours à la rue et à la contestation se fait de manière pacifique et organisée. O. B.