Salle de spectacle disposée en cercle, participation d'un grand nom de la musique andalouse, verres de thé servis au public dont une partie se retrouve sur scène et n'hésite plus à intervenir en plein jeu… Le café du bonheur, El Gourbi ya mon ami, est une pièce de théâtre qui bouscule toutes les règles établies. La dernière création de Ziani Cherif Ayad, qui sera présentée en région (*), témoigne de la volonté du dramaturge de renouer avec le café théâtre d'antan. -A travers la pièce théâtrale Le café du bonheur, El Gourbi ya mon ami, vous tentez de faire renaître de ses cendres le café théâtre. Tâche que vous avez qualifiée de «difficile» dans une conférence de presse. Pourquoi ? Ce type de spectacle ne devrait pas se passer dans des endroits pareils, mais dans l'idéal, dans de véritables cafés, car il nécessite un nombre réduit de spectateurs, parce qu'on recherche à la fois la promiscuité, l'intimité et la complicité avec le public. Difficile aussi, dans le sens où il va nous falloir travailler énormément pour convaincre le public et arriver à jouer ce spectacle dans des cafés. Les gens se sont fait une certaine idée du théâtre, selon laquelle, une pièce ne peut être jouée ailleurs que dans un théâtre, avec une scène face à des spectateurs. Or, celui-ci peut se décliner en plusieurs types, comme le théâtre d'appartement que l'on retrouve non seulement dans les pays occidentaux mais aussi dans les pays voisins où cet art se pratique partout, même dans des hangars ou des caves par exemple. Ce n'est pas une contrainte, car chaque lieu nous oblige à trouver des esthétiques et des formes différentes. -Pourtant ce type de théâtre a existé par le passé en Algérie. Qu'est-ce qui a mené à sa disparition, selon vous ? Je n'y ai pas assisté moi-même, mais les comédiens de l'ancienne génération m'ont raconté l'ambiance des cafés-théâtres de l'époque. Je suppose que rares étaient les comédiens qui pouvaient exercer leur métier dans des salles officielles comme l'opéra d'Alger. Peut-être que faute d'endroits appropriés, ils ont conquis ces cafés parce qu'il y avait une clientèle, donc un public potentiel. Beaucoup ont été reconnus grâce à leurs représentations dans ces cafés. Ça a disparu par la suite, peut-être qu'après l'indépendance, les Algériens ont reconquis les espaces que la France a laissés et abandonnés ce type de théâtre pour des endroits plus prestigieux. -Vous avez déclaré, à travers la presse, vouloir créer une nouvelle communauté de spectateurs. Selon vous, qu'est-ce qui a éloigné le public des salles de spectacles ? Si le public s'éloigne, c'est par ce qu'on n'a pas su l'intéresser. A mon avis, le problème est que le théâtre, tel qu'on le présente au public algérien, est loin des préoccupations de ce dernier et qu'il ne se reconnaît pas à travers ce qu'on lui propose en matière artistique. Malheureusement, on passe de façon cyclique, par des passages à vide, comme en ce moment, alors que nous avons beaucoup plus de moyens que par le passé. -Vous accordez une grande importance à la perception de votre pièce par le public. Comment celui-ci a-t-il reçu votre pièce jusqu'à présent ? C'est extraordinaire. Je connais le public et je savais que cette forme répondait à une attente. C'est aussi une forme qui répond à ma volonté de parler du quotidien des gens. Une forme dynamique dans la mesure où il est possible d'ajouter ou d'extraire des choses. Par exemple, on a voulu être à l'écoute du monde, en intégrant dans notre texte des références à ce qui se passe actuellement, comme les réseaux sociaux. Il y a des choses qui nous interpellent, nous avons essayé d'être attentifs et tenté d'en parler sur un ton humoristique. -Dépourvue de fin bien déterminée, on a l'impression que la pièce théâtrale est un instantané dans le quotidien banal d'un café… C'est le but de ce genre de théâtre. Si on avait un lieu permanent comme ça se fait dans plusieurs pays, la pièce pourrait évoluer au fur et à mesure et le spectateur qui verrait la pièce aujourd'hui découvrirait une toute autre pièce dans un mois. Mais pour ça, il faudrait avoir un lieu où travailler quotidiennement. On vit dans une grande capitale avec un grand nombre d'habitants, pourtant on ne trouve qu'un seul théâtre et peu d'autres lieux dédiés au spectacle. Dommage. -Pensez-vous que le théâtre puisse être vecteur et gradient de l'identité ? Ça dépend de quelle identité on parle, mais oui. Moi, en tout cas, depuis que je fais du théâtre, j'essaie de travailler sur la mémoire. Mais pas d'une manière statique car celle-ci nous aide à évoluer et à aller de l'avant. Nous avons un grand handicap sur ce plan-là. Prenons pour exemple le théâtre algérien, tout est perdu parce que les pièces ne sont pas éditées et on parle rarement des acteurs. C'est comme s'il n'existait rien et comme si on construisait à chaque fois quelque chose et ce, à cause d'un déficit de la mémoire. Or, la mémoire fait partie de notre identité. Elle la construit. Elle n'est pas figée et évolue à travers le temps et le brassage culturel. (*) Pour avoir des informations sur les prochaines dates et envoyer vos impressions sur la pièce : écrivez à : [email protected]