L'écrivain et académicien sillonne l'Algérie pour un beau livre sur les vestiges romains. Je n'ai jamais rien lu de Dominique Fernandez. Ou quelques pages à peine. Je me souviens parfaitement avoir acheté Dans la main de l'ange dans son édition originale, à Alger, peut-être l'année même de son couronnement par le Prix Goncourt. J'ai commencé à le lire la nuit-même passée chez des amis (aujourd'hui disparus tous les deux). Des quelques pages que j'ai lues de ce livre, je garde le souvenir, très vague, d'une écriture dense et très érudite. Je n'avais pas encore la prétention de tout saisir des subtilités d'une telle œuvre. Je ne suis pas sûr si je ne l'avais pas oublié chez ce couple d'amis, d'avoir fini de lire. Je ne sais pas si je l'ai comblée, depuis, cette incapacité à me hisser au niveau de cet écrit suprême, mais j'ai rencontré aujourd'hui son auteur et cela me semble être une raison suffisante pour le revendiquer. C'est donc faible de cette infortune, alibi à une ignorance, que j'ai accepté de répondre à l'invitation d'une amie responsable du Département de langue française. Je me suis donc rendu, en cette matinée froide, pluvieuse et venteuse de la fin février, à l'auditorium M. K. Naït Belkacem de l'Université Ferhat Abbas de Sétif, afin d'écouter Dominique Fernandez. J'avais pris, tôt le matin, la précaution de consulter la page Wikipédia (merci, Ain-Ternet !) sur l'invité du jour, histoire de ne pas sortir complètement à découvert (j'insiste, il faisait très mauvais…). Au moment où je suis arrivé dans le grand amphithéâtre, croyant être en retard comme il n'est pas dans mes habitudes, M. le Recteur commençait à peine la présentation de l'orateur. Je n'ai donc rien perdu de la cérémonie, à mon grand plaisir, sauf peut-être ses préalables. Je suis donc arrivé sans les miens, découvrant les choses à mesure que le recteur disait son texte. Je m'apercevais, à ma grande joie, que cette brève présentation de la vedette du jour était puisée des sources que j'ai consultées le matin et remerciai encore la toile de nous éviter d'étaler nos lacunes au grand jour. Comment faisions-nous avant, je vous le demande ? Soit dit en passant… La salle était garnie d'étudiants en langue française, certainement aussi d'autres facultés, habillés pour sortir dans le monde, donnant à cette rencontre littéraire un air de fête, venus toutes et tous écouter ce grand homme : Dominique Fernandez. Ils ne furent pas déçus. Moi non plus. Evitant de nous faire une conférence sur (comme dirait Roland Castro) «Moi, ma vie, mon œuvre», il en planta rapidement les principaux jalons, puis passa tout le reste du temps que dura cette rencontre à écouter attentivement les questions et y répondre. S'excusant presque d'être au centre des débats, il ne parla de ses écrits que lorsqu'un étudiant l'interrogeait, arrivant avec une très grande délicatesse, à peine perceptible, à banaliser à la fois son statut d'académicien, allant jusqu'à plaisanter sur ses limites et ses lourdeurs plus qu'à en louer les vertus, et son long parcours d'écrivain, se contentant d'en dire les plaisirs qu'il lui procure sans évoquer une seule fois la gloire qu'il en tire. En homme de la découverte, de la curiosité et des coups de cœur, voyageur infatigable, parti depuis l'âge de vingt ans à la quête des remèdes capables de panser les blessures de sa jeunesse. La question tellement pertinente d'un étudiant sur le livre écrit sur son père (Ràmon, Ed. Gallimard, 2009) offrit à l'académicien l'occasion de laisser trembler sa voix d'émotion en racontant cette douleur du père honni, séduit par un tribun fasciste (Jacques Doriot), devenu collaborateur des nazis durant l'Occupation, même s'il gardait une relative indépendance en continuant à écrire sur ceux que l'occupant allemand avait voué aux gémonies (Mauriac, Bergson) et parti trop tôt. J'y ai perçu, quant à moi, la blessure fondatrice de toute la vie de Dominique Fernandez, l'écrivain autant que l'homme, qui le poussa sur les chemins de l'errance. Il la voulait multitude de voyages. Ce mal incurable de la blessure narcissique explique pourquoi l'écrivain n'a jamais rien su dire de son pays dans ses écrits (il nous le confia en semblant sincèrement découvrir cette facette de son œuvre, à l'instant même où le Pr Benabid lui posa la question), avant d'écrire ce livre sur son père. Immortel d'une incroyable vitalité, l'académicien se montra encore plein de cette vigueur et de cette lucidité qui ajoutent à la sagesse des livres avalés et des expériences digérées le nectar d'une éternelle jeunesse. Et puis, vint cet autre instant provoqué par une étudiante d'une impertinence heureuse, qui le poussa à avouer de manière tellement embarrassée sa méconnaissance totale des massacres du 8 Mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata. Nous savions, faut-il encore le souligner, l'épaisseur de la chape de plomb qui cache aux Français, y compris les plus avertis, l'horreur de ces massacres. Jamais nous n'aurions cru qu'un académicien, qui plus est revendiquant depuis toujours qu'il est de gauche, tourné vers la «Mère Méditerranée» où il puise ses instincts de révolte, connaissant de longue date l'Algérie pour l'avoir parcourue plusieurs fois, signé le Manifeste des 121, puisse rester dans l'ignorance totale de ce que signifie le 8 Mai 1945. Dominique Fernandez est venu à Sétif, accompagné de Sofiane Hadjadj des éditions Barzakh, pour visiter Djemila. Il nous a confié qu'il entreprend d'écrire un livre sur les ruines romaines d'Algérie, livre qui sera illustré par son ami et complice, le grand photographe Ferrante Ferranti, né à Annaba. Nous guetterons avec impatience la sortie de ce livre aux éditions Barzakh pour nous vanter d'en avoir eu la primeur, de la bouche même de son auteur. Nous mesurerons alors à quel point, comme il l'a avancé, Sétif aura laissé en lui une trace indélébile. «Nous sommes à l'étroit dans notre vie. La littérature est là, justement, pour en élargir les horizons», nous confia-t-il. Voici une parole qui mérite de figurer sur la couverture de tous les livres.