La semaine dernière, Samira Negrouche présentait son dernier recueil à la librairie du Tiers-Monde. Son titre, Le Jazz des oliviers, vient nous rappeler que la poésie est à la littérature ce que le jazz est à la musique, soit un genre qui dépasse tous les autres par sa fantaisie, son souffle, sa diversité et, surtout, sa grande liberté. La poésie est le seul genre littéraire assimilable à un mode de vie. On peut se sentir l'âme poétique sans avoir jamais lu Rimbaud, Imrou El Qays, Neruda, Si Mohand ou M'hand ou Ibn M'sayeb. Etre dans cet état suppose à la fois de la légèreté et de la profondeur d'âme, une capacité à demeurer enfant et à garder sa faculté d'étonnement. La poésie est aussi le plus ancien genre littéraire. Quelles que soient les régions du monde ou les civilisations, les hommes ont, avec une remarquable unanimité, commencé par dire des vers. Les spécialistes affirment qu'il s'agissait de trouver un moyen de mémoriser les textes. Ils ont sans doute raison, mais la poésie ne saurait se limiter à cette utilité. Dans la préface au Portrait de Dorian Gray, Oscar Wilde affirme que «l'art est inutile, profondément inutile». C'est donc là où cesse le diktat de la nécessité que commence celui de l'art. Pourtant – beau paradoxe – cette inutilité peut devenir vitale. Aussi, même si la poésie est de moins en moins lue, de moins en moins diffusée, au point d'être devenue le parent pauvre de l'édition mondiale, il est encore assez de merveilleux dingues pour en écrire et d'autres pour en lire. Ils sont comme les membres d'une secte planétaire que l'on ignore mais que l'on vénère. Contradictoire ? Faites le test. Demandez autour de vous qui était Tahar Djaout. Une personne sur deux vous répondra : «un grand poète». Demandez alors à cette personne si elle a lu ses poèmes. Une fois sur cent, sinon mille, elle vous dira que non ! Mais savoir qu'il existe des poètes rassure, laisse penser que le monde n'est pas irrémédiablement pourri, que l'humanité existe encore face à la cupidité violente et vulgaire. Il y a un besoin de poésie, même (ou surtout) là où il n'y en a pas. C'est donc la seule expression qui vit même de son absence. Pour le «Printemps des poètes» (bien que la poésie génère elle-même cette saison tout au long de l'année), la galerie Benya d'Alger et le CCF ont organisé des manifestations qui méritent d'être évoquées (voir sur leur site). Chemin faisant, nos pensées sont allées à Djamel Amrani, l'une de nos plus belles plumes dont aucune rue, ni école ne porte encore le nom. Au merveilleux Messaour Boulenouar, cloîtré chez lui par l'âge. A Ahmed Azzegagh, l'une des belles «voix» de l'indépendance qui sera bientôt honoré à Béjaïa. Enfin, à Yacine Ouabed, qu'une hernie discale a cloué au lit, moins malheureux de son mal que d'être empêché de se livrer à son sport favori : aller chercher l'âme de La Casbah dans le haïk usé d'Alger. En lui souhaitant de gambader bientôt sur La Flûte des vertèbres de Maïakovski, grande révérence à tous les poètes du monde !