Littérairement, la balade est intime et amicale à la fois. Entreprenante et délicate, Rafia Mazari fait l'amie avant de faire le guide autour d'un personnage emblématique. Setti, c'est l'histoire d'une légende, mais, également, le retour sur une belle épopée de Tlemcen, capitale de bien des repères. Le livre s'ouvre sur un poème consacré à Lalla Setti, femme de toutes les hauteurs, et se referme sur Tlemcen, cité de toutes les senteurs. Dans son roman initiatique, édité chez Dar El Qods El Arabi, installée à Oran, Rafia Mazari évoque des souvenirs à profusion, des liaisons mentales généreuses en haltes et sentiments. Elle insiste sur des dates phares et s'attarde volontairement sur des faits précis. Ceux précisément liés à sa tendre enfance au sein des siens et ceux qui, au détour d'une discussion, lui ont été rapportés par des proches qui ont su entretenir une mémoire, ressusciter une période, enjoliver un bout d'histoire, des tranches de vie ensevelies par les épreuves de l'existence. Il y a chez ce médecin converti en arpenteur de mémoire, un fort besoin de partager, de dévoiler ce qu'ont dit, fait ou entrepris les ancêtres. Lalla Setti en est une. Elle lui consacre l'essentiel de l'ouvrage, mais n'oublie pas de l'interroger sur ce choix qui a conduit la fille de Sidi Abdelkader El Ghilani ou El Djilani à opter pour Tlemcen. L'auteur est sur plusieurs pistes, même si, prioritairement, elle inscrit cette reconstitution de mémoire sur cette relation charnelle qui a existé et qui existe jusqu'à l'heure actuelle entre une grande dame venue du pays du Tigre et de l'Euphrate, ancienne Mésopotamie, et une cité maghrébine qui ne sait pas être autre chose que capitale d'un destin. Grandeur civilisationnelle Rafia parle avec éloquence de la sainte femme, Lalla Setti, et évoque la grandeur civilisationnelle de sa ville de naissance. La description des liens spirituels et des lieux physiques est constante. Le roman est articulé autour d'une rencontre. Il est construit sur une relation, édifié sur l'aspiration d'un modèle spécifique, immergé dans un patrimoine à apports multiples et dont l'andalou n'est pas des moindres. Le style est chargé de tendresse et de sensualité à l'endroit de ce couple ville-femme. L'écriture, comme mode de véhicule du concret et de signification, alterne entre l'insistance sur l'éternel et l'éphémère. Il y a le frémissement passager et l'éternité offerte par «sakhrateine» (les deux rochers d'où jaillit l'eau de l'Ourit, la fabuleuse). Le ton est parfois léger, sensuel. Il peut être également grave dans ses longues envolées mystiques. Il épouse l'attitude d'une auteure qui ne sait pas réfréner ses penchants, corseter ses envies immédiates de s'exprimer sur des sujets jusque-là pas beaucoup ou pas du tout abordés. Il y a des retours sur des évènements heureux et des rappels moins glorieux pour la ville de Yagmoracen et Sidi Boumediene. La narration de faits historiques précis est régulièrement entrecoupée de poèmes chaleureux écrits plus par les tripes que dictés par la raison. Dans ce bond enthousiaste à travers le temps, le temps du vrai et le temps du mythe, qui aide à vivre et à se ressourcer, Rafia tente de se libérer de tous les dogmes pour dire, dans la langue qui lui convient, la langue du cœur, tout son attachement à cette figure de l'histoire qui a grandement façonné le statut de Tlemcen dans ses accélérations fulgurantes et ses figures marquantes. La fidélité au passé est aussi une fidélité à toutes les histoires gorgées de légendes qu'a charriées ce même passé. Rafia Mazari n'a pas la prétention de faire l'historienne. Elle préfère être une conteuse, un trait d'union entre ce que lui ont transmis les siens et ce qui est appelé à venir après nous. Avec Setti, elle réalise grandement ce vœu. L'essentiel est atteint. Nous avons beaucoup appris sur la sainte de Tlemcen, nous avons également découvert le talent d'un authentique témoin d'une période charnière d'une cité riche par son histoire, riche par sa mémoire.